Même en considérant l’histoire comme l’autel [Schlachtbank — abattoir] où ont été sacrifiés le bonheur des
peuples, la sagesse des États et la vertu des individus, on se pose
nécessairement la question : pour qui, à quelle fin ces immenses sacrifices ?
G. W. F. Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire,
trad. par Jean Gibelin] (1)
Oui, à quelle fin ces immenses
sacrifices de l’histoire ?
Hegel répond en distinguant la marche de l’histoire universelle, celle qui
mène l’humanité de la barbarie initiale vers une civilisation accomplie ;
des moyens par lesquels s’effectue cette progression, à savoir les actions des
hommes réels poussés par leurs besoins et leurs passions.
--> Que des générations entières soient sacrifiées à ces passions
n’empêche que la lente mais inexorable marche de l’histoire se réalise – et
qu’elle se réalise grâce à ces désordres.
Application –
- Que les grecs meurent de faim, que certains d’entre eux plongent dans la
barbarie xénophobe, que les plus faibles se prostituent aux plus forts,
qu’importe – si telle est la condition pour que soit sauvé l’Euro ? Ce
qui, traduit en langage hégélien veut dire : les individus n’ont pas
d’histoire mais les œuvres issues de la volonté des peuples en ont une.
- Que des femmes auparavant libres, soient soumises à la dure loi d’hommes
barbus, qu’elles soient violées, répudiées, privées de ressources et
contraintes d’endurer l’égoïsme et la cupidité de leurs maris, qu’importe – si
c’est la condition pour qu’éclate au grand jour une injustice telle que dans un
siècle ou deux on s’avisera d’y mettre fin ? Qu’importe le mal, s’il est
la condition d’un plus grand bien ?
Quand on coule et qu’on suffoque, on peut toujours espérer toucher le fond
de la piscine pour remonter à la surface d’un coup de talon.
C’est ce qu’ont dû penser les passagers du Titanic plongeant dans les eaux
de l’Atlantique.
N.B. Il serait peut-être prudent de vérifier le nom du
bateau sur lequel nous naviguons en ce début de 21ème siècle.
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(1) Voici le texte (dans une autre traduction) :
Quand nous considérons le spectacle des passions et que nous
envisageons les conséquences de leur
violence, la déraison qui s’allie non seulement à elles, mais aussi et surtout aux bonnes
intentions, aux fins légitimes, le mal,
l’injustice qui en surgit, la ruine des empires les plus florissants qu’ait produit le génie humain, nous ne
pouvons qu’être remplis de tristesse par
cette caducité, et, étant donné qu’une telle ruine n’est pas seulement un effet de la nature, mais encore
de la volonté humaine, en arriver, en
face de ce spectacle, à une affliction morale, à une révolte de l’esprit du bien qui se trouve en nous. On
peut, sans exagération oratoire,
amplifier ces résultats jusqu’au tableau le plus terrible, simplement
en rapprochant avec exactitude toutes
les infortunes subies par ce qu’il y a
eu de plus beau en fait de peuples, de constitutions et de vertus
et pousser ainsi l’émotion jusqu'à la
douleur la plus profonde, la plus
troublante à laquelle ne peut faire contrepoids aucune conséquence apaisante; nous ne pouvons plus nous
maintenir contre elle ou nous y arracher
que par cette pensée: C’est ainsi! C’est la destinée! On n’y peut rien changer! et nous retirer, loin du tracas
que pourrait susciter en nous cette
réflexion douloureuse, dans la sphère de nos intérêts immédiats et de nos préoccupations personnelles, bref dans
l’égoïsme, qui, sur la rive tranquille,
jouit de là en sûreté du spectacle lointain de la masse confuse des ruines. Cependant, même en considérant
l’histoire comme l’autel où ont été
sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus, on se pose nécessairement la
question: Pour qui? A quelle fin ces
immenses sacrifices? Hegel
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