Un sujet normal est essentiellement quelqu'un qui se met
dans la position de ne pas prendre au sérieux la plus grande part de son
discours intérieur.
Jacques Lacan – Les Psychoses
Combien de fois ai-je tremblé étant enfant en imaginant
que les grandes personnes avaient la faculté d’entendre mes pensées silencieuses
grâce à leur « petit doigt » ? (1) Mais garder ce secret ne
suffisait pas : il fallait en plus se mettre dans la position de ne pas prendre au sérieux la plus grande part de
son discours intérieur.
- Qu’est-ce qu’être normal ? Pour être normal, il ne
suffit pas de cacher aux autres ce qui se trame dans notre conscience : il
faut en plus ne pas donner de la consistance à ces fantasmes.
Bien sûr, cela signifie ne pas en faire un projet pour un
futur passage à l’acte ; mais il faut de surcroît ne pas en ruminer
obsessionnellement l’accomplissement. Cela signifie ne même pas en faire un
récit, ni même un songe. Bref, que ça reste une vague rumeur, un bruit de fond,
un discours inaudible.
- Maintenant, vous vous demandez peut-être : quel genre
de type serais-je si j’étais anormal ? Un illuminé annonçant la fin du
monde ? Un gourou dominateur ? Un tyran ? Un paranoïaque
narcissique ? Un pervers sadique ? Un tueur psychopathe ?
Pour le savoir, prenez une feuille de papier et racontez
l’une ou l’autre de vos pensées secrètes – je veux dire de ces pensées que
vous avez chassées de votre esprit alors qu’elle le traversait comme un météore.
Ecrivez sans faire de fioriture, comme si c’était un rapport de gendarmerie,
avec tous les détails, en nommant tous les acteurs de la scène. Pour y arriver,
vous allez donc être obligé de prendre au sérieux ces pensées, de les
considérer comme si elles résultaient de la réalité, et non de votre discours intérieur.
Maintenant, prenez garde : cette lucidité n’est pas
sans risque : c’est comme ça que vous allez rencontrer le sale type qui se
tapit au fond de vous-même.
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(1) J’ai
d’ailleurs consacré ce Post au sujet en citant le dialogue du Malade
imaginaire.
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