Un homme qui sait se rendre heureux avec
une simple illusion est infiniment plus malin que celui qui se désespère avec
la réalité.
Alphonse
Allais – Œuvres posthumes, Le Chat Noir, 27 octobre 1888
Votre grand-mère est à l’agonie. Dans un
moment de lucidité, la pauvre vieille murmure : « Ah… mon petit… Je
suis heureuse parce que je vais enfin retrouver ton pauvre Grand-père. Il me
manque tant… » Et vous lui dites, tout bas, à l’oreille : « Tu
sais Mamie, après la mort tu n’existeras plus – pas plus que Grand-Père
n’existe encore. Le jour de la mort est le jour de l’effacement
définitif. » Les sanglots silencieux de la pauvre moribonde accompagnent
alors son dernier soupir.
… Vous trouvez cette histoire
cruelle ? C’est que vous pensez qu’un bonheur illusoire est encore un
bonheur (1). Est-ce vrai ?
C’est à cette question que nombre de
prêcheurs, moralistes, prédicateurs etc. ont répondu avec solennité :
« Vous croyez être heureux en vous vautrant dans la débauche,
disent-ils ? Mais ce n’est là que satisfactions de pourceaux ! Le
vrai bonheur c’est de tout sacrifier en sachant que c’est pour se retrouver
dans la lumière du Seigneur. »
Bon. Supposons donc qu’il soit préférable
de croire en la Vérité de la foi, plutôt que de céder à la tentation du Malin.
Est-ce que pour autant ce serait possible ?
Car le propre de l’illusion, nous l’avons
vu récemment, c’est de résister à toute tentative pour la dissiper. La force du
désir qui la soutient s’oppose à la lucidité et donc à la désillusion.
Voyez Pascal : son fameux Pari destiné à convertir les libertins (= libres penseurs)
à la morale catholique, n’est absolument pas destiné à les sortir de leur
passion pécheresse pour le jeu. Le Pari de Pascal est celui d’un joueur qui
s’adresse à des joueurs. Il consiste en effet à dire : renoncez à la
débauche (oui, quand même) pour maximiser vos chances de gagner la vie
éternelle. En renonçant à vos plaisirs malpropres, vous aurez le droit de
parier que Dieu existe (2), et du coup vous pourrez rafler la mise : une vie éternelle (= le Salut)
gagnée pour le sacrifice de cette vie de jouissance. Misez une vie pour en
gagner une infinité : même la Française de Jeux ne vous en offre
pas autant.
Et la foi ? Elle viendra, si elle
vient, après, quand vous aurez fait des patenôtres et des actes de contritions.
Restant libertins dans l’illusion des passions mondaines, c’est après vous être
bien prosternés au pied de l’autel et abêtis
que vous trouverez la foi.
On comprend qu’en trouvant ce manuscrit
après la mort de Pascal, les gens de Port-Royal aient d’abord censuré ce
passage.
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(1) Inutile de chercher refuge dans le
relativisme de l’ignorance (Je ne lui
dirai rien, parce que, après tout n’est-ce pas, on ne sait jamais ce qui peut
arriver, etc…). Vous pourriez aussi bien avoir le cas de la Grand-mère
cancéreuse à qui on vient d’administrer un traitement palliatif en lui faisant
croire que c’est un nouveau médicament-miracle.
Allez-vous dissiper sa joie et lui dire la
vérité ?
(2) Si vous ne voulez pas y renoncer, alors
c’est que vous pariez que Dieu n’existe pas – comme Don Juan.
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