Friday, October 19, 2012

Citation du 19 octobre 2012


Un homme qui sait se rendre heureux avec une simple illusion est infiniment plus malin que celui qui se désespère avec la réalité.
Alphonse Allais – Œuvres posthumes, Le Chat Noir, 27 octobre 1888

Votre grand-mère est à l’agonie. Dans un moment de lucidité, la pauvre vieille murmure : « Ah… mon petit… Je suis heureuse parce que je vais enfin retrouver ton pauvre Grand-père. Il me manque tant… » Et vous lui dites, tout bas, à l’oreille : « Tu sais Mamie, après la mort tu n’existeras plus – pas plus que Grand-Père n’existe encore. Le jour de la mort est le jour de l’effacement définitif. » Les sanglots silencieux de la pauvre moribonde accompagnent alors son dernier soupir.
… Vous trouvez cette histoire cruelle ? C’est que vous pensez qu’un bonheur illusoire est encore un bonheur (1). Est-ce vrai ?
C’est à cette question que nombre de prêcheurs, moralistes, prédicateurs etc. ont répondu avec solennité : « Vous croyez être heureux en vous vautrant dans la débauche, disent-ils ? Mais ce n’est là que satisfactions de pourceaux ! Le vrai bonheur c’est de tout sacrifier en sachant que c’est pour se retrouver dans la lumière du Seigneur. »
Bon. Supposons donc qu’il soit préférable de croire en la Vérité de la foi, plutôt que de céder à la tentation du Malin. Est-ce que pour autant ce serait possible ?
Car le propre de l’illusion, nous l’avons vu récemment, c’est de résister à toute tentative pour la dissiper. La force du désir qui la soutient s’oppose à la lucidité et donc à la désillusion.
Voyez Pascal : son fameux Pari destiné à convertir les libertins (= libres penseurs) à la morale catholique, n’est absolument pas destiné à les sortir de leur passion pécheresse pour le jeu. Le Pari de Pascal est celui d’un joueur qui s’adresse à des joueurs. Il consiste en effet à dire : renoncez à la débauche (oui, quand même) pour maximiser vos chances de gagner la vie éternelle. En renonçant à vos plaisirs malpropres, vous aurez le droit de parier que Dieu existe (2), et du coup vous pourrez rafler la  mise : une vie éternelle (= le Salut) gagnée pour le sacrifice de cette vie de jouissance. Misez une vie pour en gagner une infinité : même la Française de Jeux ne vous en offre pas autant.
Et la foi ? Elle viendra, si elle vient, après, quand vous aurez fait des patenôtres et des actes de contritions. Restant libertins dans l’illusion des passions mondaines, c’est après vous être bien prosternés au pied de l’autel et abêtis que vous trouverez la foi.
On comprend qu’en trouvant ce manuscrit après la mort de Pascal, les gens de Port-Royal aient d’abord censuré ce passage.
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(1) Inutile de chercher refuge dans le relativisme de l’ignorance (Je ne lui dirai rien, parce que, après tout n’est-ce pas, on ne sait jamais ce qui peut arriver, etc…). Vous pourriez aussi bien avoir le cas de la Grand-mère cancéreuse à qui on vient d’administrer un traitement palliatif en lui faisant croire que c’est un nouveau médicament-miracle.
Allez-vous dissiper sa joie et lui dire la vérité ?
(2) Si vous ne voulez pas y renoncer, alors c’est que vous pariez que Dieu n’existe pas – comme Don Juan.

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