Les gens ne croient plus à la mort. Ils croient à
l'usure.
Françoise Sagan
Quand on lit Françoise Sagan on a l’impression de lire
des banalités, des bouts de vie ordinaire, quelque chose de fade et de
rebouilli dans la marmite de la vie quotidienne.
Pourtant il arrive aussi qu’on soit – à la réflexion –
saisi par le relief que prennent ces platitudes une fois exposées à la
réflexion du lecteur.
Qu’est-ce que mourir ? Sagan nous dit : c’est
disparaitre parce qu’on est usé. Et ce n’est pas rien !
- La mort, ce mystère de la vie spirituelle qui quitte le
champ de la conscience pour basculer dans celui de l’au-delà :
évacué !
- Cette énigme de la matière vivante qui cesse de se
reconstituer pour devenir charogne : disparue !
--> Mais, si la mort cesse d’être cette rupture
angoissante, c’est pour s’insinuer dans notre vie quotidienne : elle est
là, elle nous pénètre par tous les pores de notre peau, car depuis notre
naissance nous nous usons, jour après jour.
Du coup, on change de vision, on change de
stratégie : après avoir œuvré pour notre salut dans l’au-delà, œuvrons
pour éviter de gaspiller notre capital-santé dès aujourd’hui – ce que bien sûr
Sagan n’a pas fait : cette économie, ce n’était pas pour celle qui
conduisait pieds nus sa Jaguar, à 200 à l’heure sur la Nationale 7.
L’usure de l’être humain, on connait bien : c’est ce
qui se passe quand on vieillit. La mort ne serait ainsi que le passage à la
limite du vieillissement, une sorte d’extinction progressive, comme la
chandelle qui vacille et qu’un souffle d’air suffit à éteindre.
Mais qu’est-ce que ça fait ? On finit tout de même
crevé, et le fait de mourir à petit feu ne devrait pas nous réjouir plus que
ça.
Sauf que, issue d’Angleterre, la mode du shabby smart est venue séduire nos
décorateurs. Il s’agit – si j’ai bien compris – de valoriser les vieux objets,
les vieux meubles, les vieilles tapisseries qui se sont fanées sur nos murs.
Reconnaissons la valeur de l’usure, car elle nous transmet l’épaisseur du temps
écoulé, elle nous donne à voir les gestes quotidiens dans la peinture élimée sur
la porte du placard – un peu comme des
marches d’escaliers usées par des générations de pieds. Cette usure,
voilà que nous la préservons, que la nettoyons non pour l’effacer, mais pour la
rendre plus évidente : voilà donc qu’on s’abstient de restaurer les
vieilleries afin de leur restituer l’éclat du neuf.
S’il en est ainsi du vieillissement, voilà qui va revigorer
les vieilles peaux, redonner de la fierté aux crânes dégarnis, aux bedons
proéminents et aux poitrines avachies.
Ça va être la ruine des chirurgiens esthétiques.
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