Friday, November 16, 2012

Citation du 17 novembre 2012



Mais, de même que nous appelons homme libre celui qui est à lui-même sa fin et n'existe pas pour un autre, ainsi cette science [= la philosophie] est aussi la seule de toutes les sciences qui soit libre, car seule elle est à elle-même sa propre fin.
Aristote – Métaphysique, A, 2, 982 b10-25
Quand on est prof de philo, on est invariablement confronté à la question des élèves (et parfois de leurs parents) : « la philo, ça sert à quoi ? ».
Alors, on répond généralement : la philosophie ne sert à rien, et c’est tant mieux, parce que, comme le dit Aristote, cela montre qu’elle est le libre exercice de notre intelligence.
Mais du coup, dans notre époque utilitariste, voilà la philosophie rangée dans le domaine des arts et des futilités amusantes (entertainment). Seulement, dès qu’il faut construire un raisonnement, voilà que ça fatigue – et là, l’entertainment ne fonctionne plus..
Quand je dis « dans notre époque », j’exagère un peu. En fait c’est « à toute époque » que je devrais dire. Qu’on se rappelle les critiques des sophistes à l’égard de Socrate (1), selon lesquelles il est honteux quand on est un adulte de s’amuser à de tels enfantillages, entendez : de consacrer sa vie à des interrogations qui ne rapportent rien, et surtout pas du pouvoir – alors que les sophistes, eux, savent comment faire pour en obtenir.
Si ça ne vous rappelle rien, je peux vous rafraichir la mémoire : on croirait entendre Jacques Séguéla affirmant que si à 50 ans on n’a pas sa Rolex, alors c’est qu’on a raté sa vie.
Et bien sûr, c’est vrai, à condition d’avoir fait de l’enrichissement le but de sa vie.
Seulement, si c’est le cas, on peut encore demander : l’argent, ça doit servir à quelque chose, n’est-ce pas ? Et donc pourquoi faire de l’acquisition de richesses un but ? A moins de dire, comme Harpagon, que vous ne serez heureux que le jour où votre cassette explosera de pièces d’or, vous voilà embarqué dans l’énumération de jouissance qui n’auront d’intérêt que d’être les plus onéreuses possibles – à moins de prétendre vouloir investir dans des entreprises méritantes et françaises...
Par contre, si je dis que je consacre ma vie à la science qui nous permet d’accéder à la connaissance du vrai, du juste, du beau, du bien, on ne peut me demander à quoi ça sert sans se ridiculiser soi-même.
Mais aussi on ne peut prétendre s’enrichir grâce à ça : comme le disait Kant, il est tout à fait contraire à la nature de la philosophie d’être un gagne-pain… (voir ici)
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(1) Voir par exemple le Gorgias de Platon

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