Je ne suis ici qu'une ombre transparente, une sorte de
copie fragile, un reflet provisoire de l'immensité de Dieu. Il est mon
original.
André Frossard – Paris-Match
- 29 Août 1991
André Frossard a rencontré Dieu. Du coup il prêche à
longueur d’Edito : N’oublie pas que
tu n’es qu’une créature qui a eu besoin d’un Créateur pour arriver à
l’existence ! Mais du coup,
tâche d’être digne de Lui.
Laissons tomber. Je voudrais m’en tenir à cet usage de
l’idée de copie, si platonicienne et si clairement exposée ici.
La copie suppose ordinairement une chute par rapport à
l’original :
- chute ontologique :
elle ne possède pas la perfection de l’être dont elle a reçu l’existence et
qu’elle imite.
- chute
existentielle : puisqu’elle ne s’est pas donné à elle-même l’existence
alors elle peut la perdre à tout moment.
- chute dans
l’apparence : elle n’est qu’un reflet, une apparence illusoire alors
que son créateur est entièrement authentique.
Bref : il n’y a que la copie pour s’imaginer être identique
au modèle ; en réalité, ce qu’elle atteint, c’est la ressemblance, pas
l’identité. La preuve : la copie intègre des accidents, des imperfections,
qui font que les copies de copies sont rapidement inutilisables.
C’est là que le numérique vient bouleverser notre
conception de la copie : comment distinguer entre la photo qu’on vient de
prendre – et qui est sur la carte mémoire de l’appareil – et la même photo, x
fois partagée et re-partagée avec nos amis ?
Avec le numérique la copie est exactement semblable à
l’original, et voici pourquoi : c’est qu’elle n’est pas simplement analogue
à lui, parce qu’elle est faite de la même substance. Et ceci est possible parce
que cette substance est strictement élémentaire, limitée à des chiffres que rien
ne vient différencier : aucune différence de nature entre les 0 et les 1
qui constituent ma photo « originale » et ceux qu’on retrouve dans la
photo copiée.
- Comment peut-on fabriquer une infinie diversité de
formes avec deux éléments (0,1) indéfiniment répétés dans des lignes
interminables de code ?
Observons que les technologies numériques ne sont pas les
seules à réaliser cet exploit : il y a aussi la matière vivante, avec le
génome fait d’une succession de molécules d’ADN composées de 4 éléments qu’on
peut répéter à l’infini et qui sont pourtant susceptibles de créer
d’innombrables individus tous différents. (1)
Notre étonnement vient sans doute d’une vieille croyance,
que la philosophie scolastique a répétée sur tous les tons : il ne peut
pas y avoir plus d’être ou de perfection dans l’effet que dans la cause.
On y croit encore, même aujourd’hui, même en ayant tout
oublié de la philosophie médiévale.
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(1) Rappelons que
l’ADN est constitué de l’enchainement de 4 nucléotides (A, G, C et T)
(voir ici).
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