Wednesday, November 07, 2012

Citation du 8 novembre 2012



J'existe. C'est doux, si doux, si lent. Et léger : on dirait que ça tient en l'air tout seul. Ça remue. Ce sont des effleurements partout qui fondent et s'évanouissent. Tout doux, tout doux.
Jean-Paul Sartre – La nausée (1938)
L’effleurement III
Je vis… J’existe… Là devant mon clavier, tout à l’heure dans la rue ou me promenant au bord de la rivière...
Mais, quelle est la sensation qui me révèle que je vis ? Je veux dire, non pas l’expérience de ce que je vis, mais de ce que c’est en moi que de vivre.
La réponse de Sartre est dans ce passage : il nous faut recourir à un bouquet de sensations – ou plutôt d’effleurements.
Nulle force, nulle intensité : si jamais on me marche sur un pied ou si on me fait goûter un délicieux chocolat, et alors je suis tout entier douleur d’orteil ou saveur de chocolat. Plus aucune sensation directe du moi qui vit tout cela : pour être, celle-ci doit résulter des effleurements partout qui fondent et s'évanouissent.
Or, on vient de le dire, ces effleurements ne parviennent généralement pas à notre conscience, par ce qu’ils sont recouverts par des sensations plus fortes, ou ignorés parce que glissant à sa surface. Seraient-ils comme ces particules au comportement étrange décrit par la physique des quantas, mais qui se rangent sagement aux lois de la physique de Newton dès qu’on les considère en grand nombre, à l’échelle macroscopique ?
Peut-être. Mais ces effleurements ont malgré tout une caractéristique qui les distingue de toute autre sensation : ça remue. Entendons qu’il n’y a rien à faire, que ça va et ça vient : ça remue comme la feuille dans le vent – mais cette feuille c’est moi.
Laissons tomber les métaphores. L’existence n’est pas faite d’autre chose que des sensations vécues banalement sans même qu’il y ait besoin d’y ajouter je ne sais quelle perception venue des profondeurs exprès pour que le philosophe la cueille au passage. Comme Leibniz, Sartre considère que la conscience n’est rien d’autre que ce grand vent qui balaie toutes les perceptions, qui les fait s’envoler, et qui continue souterrainement même quand en surface une sensation majeure vient à s’imposer.
Alors les effleurements continuent, mais par en dessous. Ils effleurent sans affleurer.

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