J'existe. C'est doux, si doux, si lent. Et léger :
on dirait que ça tient en l'air tout seul. Ça remue. Ce sont des effleurements
partout qui fondent et s'évanouissent. Tout doux, tout doux.
Jean-Paul Sartre –
La nausée (1938)
L’effleurement III
Je vis… J’existe… Là devant mon clavier, tout à l’heure
dans la rue ou me promenant au bord de la rivière...
Mais, quelle est la sensation qui me révèle que je vis ?
Je veux dire, non pas l’expérience de ce
que je vis, mais de ce que c’est en
moi que de vivre.
La réponse de Sartre est dans ce passage : il nous
faut recourir à un bouquet de sensations – ou plutôt d’effleurements.
Nulle force, nulle intensité : si jamais on me
marche sur un pied ou si on me fait goûter un délicieux chocolat, et alors je
suis tout entier douleur d’orteil ou saveur de chocolat. Plus aucune sensation
directe du moi qui vit tout cela : pour être, celle-ci doit résulter des effleurements partout qui fondent et
s'évanouissent.
Or, on vient de le dire, ces effleurements ne parviennent
généralement pas à notre conscience, par ce qu’ils sont recouverts par des
sensations plus fortes, ou ignorés parce que glissant à sa surface. Seraient-ils
comme ces particules au comportement étrange décrit par la physique des quantas,
mais qui se rangent sagement aux lois de la physique de Newton dès qu’on les
considère en grand nombre, à l’échelle macroscopique ?
Peut-être. Mais ces effleurements ont malgré tout une
caractéristique qui les distingue de toute autre sensation : ça remue. Entendons qu’il n’y a rien à
faire, que ça va et ça vient : ça remue comme la feuille dans le vent –
mais cette feuille c’est moi.
Laissons tomber les métaphores. L’existence n’est pas
faite d’autre chose que des sensations vécues banalement sans même qu’il y ait
besoin d’y ajouter je ne sais quelle perception venue des profondeurs exprès
pour que le philosophe la cueille au passage. Comme Leibniz, Sartre considère
que la conscience n’est rien d’autre que ce grand vent qui balaie toutes les
perceptions, qui les fait s’envoler, et qui continue souterrainement même quand
en surface une sensation majeure vient à s’imposer.
Alors les effleurements continuent, mais par en dessous.
Ils effleurent sans affleurer.
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