Il y avait dans ses livres un art consommé de
l'effleurement des idées et des problèmes les plus graves. Rien n'y arrêtait le
regard, si ce n'est la merveille même de n'y trouver nulle résistance
Paul Valéry – Eloge d’Anatole France – Discours de réception à l’Académie Française 23 juin 1927
L’effleurement II
La force de l’effleurement est dans l’émerveillement
qu’il suscite. Pas de rencontre percutante, pas de froissement ni de blessure.
Mais l’effleurement est aussi contact. L’émerveillement de ne rencontrer nulle
résistance ne pourrait apparaitre dans l’espace d’une distance
maintenue : c’est qu’alors rien ne passe, nul message, nulle rencontre,
nulle compréhension.
Si l’effleurement est efficace, c’est par ce qu’il
suggère et non par ce qu’il dit. Anatole France romancier effleure les idées et les problèmes, mais il en suscite aussi la
représentation. Un peu comme ces paysages filmés depuis un avion ou un
hélicoptère (la France vue du ciel), nous glissons par-dessus les forêts, les
rivières – les horizons. Mais en même temps que nous les survolons, nous en imaginons
l’étendue, la densité, la profondeur, la vie des bêtes ou des gens qui les
habitent. En plus de nous faire voir tout cela sans effort, l’effleurement nous
le donne de façon exhaustive : rien
n’arrête notre regard.
--> Mais évitons de nous laisser distraire par
l’exemple de l’image documentaire. Il s’agit de roman, il s’agit d’idées et de
problèmes.
Autrement dit, cette promenade effleurante ne doit pas
nous faire oublier qu’elle a été voulue et organisée par un auteur, que c’est
par ses yeux que nous voyons, par son esprit que nous imaginons. L’effleurement
peut aussi participer d’une manœuvre séductrice, par laquelle le séducteur s’efface
comme une ombre pour ne subsister que comme sensation – une sensation qui
viendrait à éclore en nous sans que personne ne l’ait suscitée.
C’est là qu’on retrouve la caresse de Michel Tournier (évoquée
hier : 4-11)
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