Les femmes de mon âge ont à s'accommoder d'un … mal qui
n'est ni un mari manquant, ni les enfants qui s'éloignent… Non, c'est
l'apprentissage de la transparence : jamais plus personne ne les regarde.
Jamais ! C'est cela, la plus implacable des solitudes, la disparition des
regards.
Yves Simon – La
compagnie des femmes
Transparence II
Après l’humiliation de la transparence (hier), voici la
solitude qui en résulte (aujourd’hui).
--> La transparence peut-être joyeuse quand elle est
invisibilité choisie (voir l’anneau de Gygès évoqué hier), mais elle devient,
quand elle est subie, la plus implacable
des solitudes, celle qui résulte de la
disparition des regards.
Ces regards qui disparaissent, ce sont les regards qui
nous traversent sans nous voir, un peu comme dans l’ascenseur ou dans l’autobus,
quand, confiné avec quelqu’un, notre regard l’effleure – voire même se pose sur
lui – comme s’il était un objet de l’environnement.
Etre invisible même quand on est vu : voilà, comme
nous l’avions suggéré hier, le traumatisme de la transparence. C’est ce que
souligne l’exemple donné par Yves Simon : quoi de pire pour une femme que
de lire dans l’indifférence des regards la preuve qu’elle n’est plus
séduisante ? Ce qui permet de revisiter la thèse de Sartre : l’enfer, c’est les autres.
Thèse : au
lieu d’être une liberté qui jaillit et s’invente d’instant en instant, je suis
figé dans l’apparence que saisit le regard d’autrui.
--> Dans la pièce de Sartre (Huis-clos), il y a trois
personnages (Estelle, Inès et Garcin) : chacun apparait sous le regard des
deux autres comme étant seulement un criminel : l’un est infanticide,
l’autre est un lâche qui à la guerre a déserté les combats, le troisième est un
assassin…. Chacun conteste cette identification, mais Sartre maintient que le
regard qu’autrui porte sur lui le contraint à s’identifier à son apparence.
Ce qui est infernal, en plus de cette contrainte, c’est l’impuissance
à gouverner ce regard : Estelle
voudrait bien que Garcin la regarde – mais qu’il la regarde comme une femme
séduisante. Seulement voilà : Garcin
ne s’intéresse pas à elle : pour lui, Estelle est, comme la femme mûre
d’Yves Simon. Quand à Inès elle aussi
voudrait séduire, mais c’est Estelle qu’elle veut – et donc ça ne marche pas
non plus.
Il y a donc deux types de solitude de la
transparence : l’une est une solitude sélective ; c’est parce que je
me suis d’abord défini comme étant tel ou tel personnage (la femme séductrice)
que je ne trouve personne pour me voir : on peut supposer que si je me
définissais autrement, il y aurait des regards pour me chercher et me trouver.
A moins que…
A moins que je ne me trouve absolument transparent, qu’il
n’y ait nulle âme charitable pour me regarder comme un enfant de Dieu.
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