Ce temps ne connaît point son mal; ils se disent
rassasiés, lorsqu'ils ont effleuré à peine. Ils partent de l'idée très-fausse
qu'en toute chose le meilleur est la surface et le dessus, qu'il suffit d'y
porter les lèvres. Le dessus est souvent l'écume. C'est plus bas, c'est au
dedans qu'est le breuvage de vie.
Michelet – L'Insecte
(1857)
On connait l’attention que je porte à l’effleurement qui
frôle les surfaces. J’ai même inventé tout exprès le concept de métaphysique de l’effleurement que je
comptais bien faire breveter un de ces jours.
Et puis, patatras ! Voilà Michelet qui met tout
parterre : délaissez l’écume de
la surface dit-il, et recherchez le
breuvage de vie dans les profondeurs…
Que veut dire Michelet ? Simplement ceci : il y
a une différence entre la métaphysique et l’esthétique.
Qu’est-ce à dire ?
Quand je regarde mon verre de bière, je constate en effet
que la mousse est bien de l’écume, elle n’a aucune saveur, elle ne désaltère
pas, bref : rien de ce qu’apporte la bière n’est présent en elle. D’un
point de vue ontologique, elle n’est absolument rien : elle ne serait pas
là que ça ne changerait rien.
En revanche, sans elle, mon verre de bière perdrait
quelque chose : elle est comme une coiffure élégante qui vient couronner
le verre, quelque chose qui le complète et le magnifie. Non seulement il lui
faut de la mousse, mais encore une certaine épaisseur de mousse : on est
donc dans le domaine de l’esthétique.
Corrigeons donc : au lieu de parler d’une métaphysique de l’effleurement, parlons
plutôt d’une esthétique effleurante.
« Esthétique effleurante » :
quèsaco ?
Si la mousse au sommet du verre n’est pas vraiment
consommable, cela n’a aucune importance, parce que son rôle est esthétique. L’esthétique suppose la
contemplation : il n’est nullement
question de consommation avec elle, et comme disait Kant, le beau est ce qui
plait de façon désintéressée, alors que l’agréable suppose la consommation.
Voilà comment je pourrais sauver ma nouvelle philosophie
de l’effleurement : au lieu de nous comporter comme des consommateurs
sauvages et compulsifs, contemplons les êtres et les objets comme des œuvres
d’art. On ne peut jouir de la beauté et la consommer en même temps. Une très
belle femme passe dans la rue : vous la suivez. Pourquoi ? Pour
engager la conversation et avoir un rendez-vous avec elle ? Peut-être.
Mais peut-être aussi est-ce pour continuer, en l’effleurant du regard,
d’admirer ses formes et sa démarche de déesse, ce que vous ne pouvez faire qu’à
la condition de la laisser à distance, vivant pour elle-même – au lieu de l’écraser
sous le poids de votre corps.
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