Saturday, March 30, 2013

Citation du 31 mars 2013



Ce temps ne connaît point son mal; ils se disent rassasiés, lorsqu'ils ont effleuré à peine. Ils partent de l'idée très-fausse qu'en toute chose le meilleur est la surface et le dessus, qu'il suffit d'y porter les lèvres. Le dessus est souvent l'écume. C'est plus bas, c'est au dedans qu'est le breuvage de vie.
Michelet – L'Insecte (1857)
On connait l’attention que je porte à l’effleurement qui frôle les surfaces. J’ai même inventé tout exprès le concept de métaphysique de l’effleurement que je comptais bien faire breveter un de ces jours.
Et puis, patatras ! Voilà Michelet qui met tout parterre : délaissez l’écume de la surface dit-il, et recherchez le breuvage de vie dans les profondeurs…
Que veut dire Michelet ? Simplement ceci : il y a une différence entre la métaphysique et l’esthétique.
Qu’est-ce à dire ?
Quand je regarde mon verre de bière, je constate en effet que la mousse est bien de l’écume, elle n’a aucune saveur, elle ne désaltère pas, bref : rien de ce qu’apporte la bière n’est présent en elle. D’un point de vue ontologique, elle n’est absolument rien : elle ne serait pas là que ça ne changerait rien.
En revanche, sans elle, mon verre de bière perdrait quelque chose : elle est comme une coiffure élégante qui vient couronner le verre, quelque chose qui le complète et le magnifie. Non seulement il lui faut de la mousse, mais encore une certaine épaisseur de mousse : on est donc dans le domaine de l’esthétique.
Corrigeons donc : au lieu de parler d’une métaphysique de l’effleurement, parlons plutôt d’une esthétique effleurante.
« Esthétique effleurante » : quèsaco ?
Si la mousse au sommet du verre n’est pas vraiment consommable, cela n’a aucune importance, parce que son rôle est esthétique. L’esthétique suppose la contemplation : il  n’est nullement question de consommation avec elle, et comme disait Kant, le beau est ce qui plait de façon désintéressée, alors que l’agréable suppose la consommation.
Voilà comment je pourrais sauver ma nouvelle philosophie de l’effleurement : au lieu de nous comporter comme des consommateurs sauvages et compulsifs, contemplons les êtres et les objets comme des œuvres d’art. On ne peut jouir de la beauté et la consommer en même temps. Une très belle femme passe dans la rue : vous la suivez. Pourquoi ? Pour engager la conversation et avoir un rendez-vous avec elle ? Peut-être. Mais peut-être aussi est-ce pour continuer, en l’effleurant du regard, d’admirer ses formes et sa démarche de déesse, ce que vous ne pouvez faire qu’à la condition de la laisser à distance, vivant pour elle-même – au lieu de l’écraser sous le poids de votre corps.

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