Un homme d'esprit de ma connaissance voudrait qu'on
étudiât et qu'on enseignât l'histoire à rebours, c'est-à-dire en commençant par
notre temps et remontant de là aux siècles passés; cette idée me paraît très
juste et très philosophique.
d’Alembert – Mélanges littéraires
Cette remarque de d’Alembert est non seulement pertinente
mais aussi prémonitoire, puisque c’est Michel Foucault qui proposera cette
démarche en la baptisant : généalogie.
Et en effet, si l’on veut faire de l’histoire pour
mieux comprendre non pas le passé mais le présent, et si elle est censée non
seulement nous signaler les erreurs à ne pas commettre, mais encore nous
permettre d’en éviter le retour, alors la seule façon de l’apprendre est de
remonter des effets présents vers leurs causes passées.
On objectera peut-être qu’à ce compte on risque bien
d’avoir des programmes d’étude historique fort réduits. Par exemple, faire l’étude « généalogique » de notre crise économique en remontant au
libéralisme anglo-saxon Reagan-Thatcher ; et en amont, vers le rôle de la
spéculation financière dans le développement économique et sa récession – on
arrivera sans peine en 1929. On peut si l’on veut être plus érudit étudier la
naissance des banques à la fin du moyen-âge ainsi que leur développement… et
leur ruine : exemple, le système de
Law à l’époque de Louis XV, etc…
Qu’est-ce qu’on aurait à perdre à étudier l’histoire
comme ça ? On ignorerait peut-être les grands hommes et la magnificence
dont ils se sont entourés qu’ont chanté les historiographes à leur solde ?
Que nous importe ?
Par contre on perdrait forcément quelque chose : l’étude du
fonctionnement d’une société du temps passé, par exemple la société française
du 18ème siècle – ce qui permet de découvrir avec quelle naïveté
elle s’est fourvoyée lors des premiers balbutiements de la finance. Ainsi : l’expérience de Law est révélatrice d’un monde qui n’a pas encore
d’autres repères que les privilèges qui sont transmissibles par hérédité et pour
qui l’enrichissement instantané par manipulation financière est une totale
découverte. Comprendre du coup que, lorsque
Figaro fustige les nobles « qui
se sont donné que le mal de naitre et voilà tout », il revendique
cette mobilité sociale que le rêve américain rendra possible – et qui aboutira à
la déconfiture de Fanny Mae.
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