Nous vivons dans un monde qui a complètement perdu l'usage du point-virgule, nous parlons tous par phrases inachevées, avec trois petits points sous-entendus, parce que nous ne trouvons jamais le mot juste.
Jean Anouilh – La répétition
Faut-il donc
créer un comité pour la réintroduction du point-virgule dans nos écrits, un peu
comme on milite pour la réintroduction de l’ours brun dans les Pyrénées ?
Sans doute, pour
autant que nous soyons encore capables d’écrire des phrases assez longues pour
y loger ce signe de ponctuation. Mais on peut s’étonner malgré tout qu’on ait
pu s’émouvoir de l’oubli du point-virgule, au point qu’un chapitre entier lui
ait été consacré dans le Traité de
Drillon (1).
C’est pourquoi
Anouilh nous explique très justement que le point-virgule disparait non pas au
profit d’une autre ponctuation, mais en raison de notre incapacité à terminer
nos phrases, ce qui, avouons-le, est un peu plus ennuyeux.
Le point-virgule
dont nous parlons ici n’est pas une simple pose dans la lecture, ni un
intermédiaire qu’on pourrait juger facultatif entre la virgule et le point. Il
ne sépare pas, il relie ; il n’indique pas une simple pose dans la
lecture, il rythme la phrase ; il ne se contente pas de juxtaposer des
membres de phrases dans une énumération, il relie aussi des propositions
incomplètes. Telle est la raison pour laquelle en son absence surgissent les
points de suspensions qui dépècent la phrase et qui l’empêchent de se
constituer comme un tout.
Les points de
suspension sont dans ce cas l’aveu de notre incapacité à construire notre
pensée (2).
Venons-en à
l’essentiel : oui, le point-virgule doit être réintroduit dans l’écrit
parce qu’il nous oblige à terminer notre phrase au lieu de l’abandonner à
moitié énoncée – à charge pour l’auditeur de la compléter par lui-même. Oui, il
devrait être interdit d’employer des points de suspension, et peut-être même
aussi la préposition « voilà… »,
surtout quand elle est suivie de points de suspension – et qui ponctue une explication
de silences pas forcément éloquents.
Une idée :
plutôt que d’interdire les points de suspension et les « voilà », je
propose qu’on fasse comme pour les émissions de CO2 : taxons-les !...
Voilà.
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(1) Jacques
Drillon – Traité de la ponctuation
française, chapitre 9 (Précisons tout de même qu’il s’agit d’une édition de
poche (collection Tel), ce qui permet de supposer un intérêt réel du public)
(2) Précisons que
ces points de suspension-là ne sont pas ceux qu’emploie Céline et qui sont des
indicateurs de lecture qui visent à restituer le rythme de l’énoncé oral.
- Sur les points
de suspension, voir aussi mon Post du 3 décembre 2006
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