Il disait que seul le sommeil était intime, qu’il
signifiait bien plus que la jouissance. J’avais l’image d’une transmission des
rêves comme si les cerveaux se reliaient en secret, échangeant leurs
informations, déroutant le cours de leurs songes.
Nina Bouraoui – Appelez-moi
par mon prénom
Les hommes éveillés n'ont qu'un monde, mais les hommes
endormis ont chacun leur monde.
Héraclite Fragment
89 (Cité le 8-03-2003)
Voyez comme le commentaire de citation est une chose
délicate : la citation de Nina Bouraoui semble prendre le même chemin que
celui poursuivi par Héraclite : si le sommeil est chose particulièrement
intime, c’est qu’en rêve nous peuplons le monde de représentations qui
n’appartiennent qu’à nous seuls.
Et puis, voilà que ça bifurque : l’homme endormi,
nous dit Nina Bouraoui, n’est certes pas dans le monde réel, mais il n’est pas non
plus enfermé dans son monde, isolé de tous les autres : en réalité le
sommeil est le moment d’une rencontre secrète avec les autres hommes, au point,
justement, que les songes ne sont pas seulement nos songes.
Faut-il y croire ? Peut-être pas, mais
qu’importe ? J’aime l’idée que mes songes soient influencés par les rêves
de celle qui dort à mes côtés – car si Nina Bouraoui a raison, alors c’est sans
doute dans la proximité immédiate que le dormeur rencontre l’autre dormeur (du moins, j'aime à le croire).
Du coup, si notre sommeil exprime aussi quelque chose de
la personne avec qui nous partageons notre couche, alors, ça change un peu la
donne : que nous aimions coucher avec une belle dame, ça se comprend tant
que nous sommes éveillés. Mais qu’après les ébats de l’amour, épuisés, nous la
quittions pour aller dormir dans un autre lit, un peu plus loin, nous
découvrons que nous avons à y perdre.
Oui, nous avons à y perdre le dialogue de nos rêves,
lorsque libérés des contraintes de notre conscience, notre inconscient secret
se met en quête d’un autre inconscient pour échanger avec lui.
Auprès de la femme aimée, cet échange nocturne
deviendrait alors une raison de plus de l’aimer, parce que nous recevrions
d’elle cette substance intime de sa pensée et qu’ainsi, même endormi, nous
continuerions à jouir de sa présence. Alors, elle ne serait pas seulement
« belle comme un rêve », mais aussi « belle de ses rêves ».
Au contraire, d’une femme dont la personnalité
contredirait l’attraction qu’exercerait sur nous son corps, nous dirions :
- Chérie, j’aime ton corps et tu sais combien il
m’apporte de jouissance. Mais si tu veux bien, nous allons faire chambre à
part…
2 comments:
Bêtises d'amoureux!
Je suis d'accord avec Héraclite. Et je ne veux pas que mon voisin de lit s'immisce ds mes rêves! Jamais, depuis env. 30 ans de couche commune, nous n'avons rêvé de concert, malgré la soirée partagée, le film vu ensemble, etc... Et c'est très bien que chacun conserve son monde! Une communion totale ne serait pas enrichissante, I think, et bien peu probable. Je ne peux admettre que vous croyiez à cela. Imaginez-vous un "éclair" reliant 2 voisins d'oreiller? Là, mon cartésianisme supplante mon romantisme.
Et dormir seul a des avantages, mais ici, c'est le romantisme qui gagne: "chéri, tiens moi chaud"...
Bien a vous, N.
Évidemment je suis cartésien et évidemment je ne crois pas à cette communion des esprits. D'ailleurs je suis d'accord avec vous : ce for intérieur c'est notre ultime espace de liberté.
Bien cordialement
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