Tuesday, June 25, 2013

Citation du 26 juin 2013


On commence par céder sur le mot et on finit par céder sur la chose.
Freud – Essais de psychanalyse (Analyse du moi et psychologie des masses : trad. française p.   153) (1)
J’ai ici même dit combien la peur des mots était à mes yeux ridicule et combien le fait de nommer les choses telles qu’elles sont – appeler « un chat » « un chat » - me paraissait évidemment nécessaire. J’ai du coup cité pas mal d’auteurs à la rescousse, à commencer par Rabelais (2).
Mais j’ai peut-être été trop vite en besogne : si on en arrive à avoir peur des mots, c’est qu’ils ont un véritable pouvoir – ou du moins leur libre usage nous expose à toutes sortes de désagréments parfaitement prévisibles. C’est ainsi que Freud note que l’usage du terme « Eros » lui a valu bien des déboires que le mot « amour » lui aurait épargné.
Les psy le savent si bien qu’ils ont pris l’habitude d’user de mots latins pour désigner ce qui concerne la sexualité : libido, fellatio, cunnilingus, pénis et même clitoris (qui lui vient du grec kleitoris qui signifie « petite colline »). La dénomination en langue savante constitue une garantie d’objectivité et de … comment dire ? Propreté ?
Mais si ces mots demeurent proscrits, c’est bien parce que la « chose » qu’ils signifient a finalement pris le pas sur leur formulation : en prononçant leur nom, même en latin, c’est la chose qui apparait.
L’idée de Freud, c’est que le même processus d’influence peut jouer à rebours : il peut se faire que le sens du mot devienne une propriété de la chose par lequel on la désigne. La contamination du mot par la chose devient alors la contamination de la chose par le mot.
C’est exactement ce qu’Orwell avait inventé avec la « novlangue »  dans son roman 1984.
Mais hélas ! ce n’était pas une invention mais la mise en récit romanesque des pratiques du totalitarisme.
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(1) « Qui tient la sexualité pour quelque   chose de honteux et d'avilissant pour la nature humaine est bien libre de se servir des termes plus distingués d'Eros et d'érotisme. J'aurais pu moi-même procéder ainsi dès le départ et je me serais épargné beaucoup   d'opposition. Mais j'y répugnai, car j'évite volontiers des concessions à la pusillanimité. On ne peut savoir où cette voie nous mène ; on cède d'abord en paroles et puis peu à peu en fait. » 
(2) « Si les signes vous fâchent, ô combien vous fâcheront les choses signifiées. » Rabelais – Tiers livre (ch. 20) Cité le 9 mai 2006

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