Pour néant pense, qui ne contre-pense
Proverbe (XVe siècle)
Il s’agit d’un proverbe assez largement diffusé sur le
net, mais dont l’origine reste obscure – suffisamment pour qu’on le considère
comme une expression de la sagesse commune.
Le XVème siècle était une bien belle époque pour avoir eu
une telle sagesse commune ! Chez nous qui ne prenons pas le temps de
contre-penser, on voit dans quel sens se propage le « progrès ».
Laissons tomber les ronchonneries, et tentons de dire
pourquoi cette formule peut aujourd’hui encore séduire par sa justesse.
Contre-penser :
faire des objections à sa propre pensée pour en éprouver la solidité, et donc
pour hisser ce qui n’est encore qu’une simple opinion au niveau de la pensée.
Telle est la fonction du dialogue qu’on entretien avec
soi-même et qui permettait à Platon de dire que « la pensée est le dialogue de l’âme avec elle-même » (1)
Deux observations :
- D’abord, ça signifie qu’on ne doit aucunement faire
confiance à l’intuition. Que celle-ci fasse naitre en nous des pensées qu’on
n’aurait pas eues par une réflexion approfondie, soit. Mais si l’intuition
porte avec elle la satisfaction d’avoir vu la vérité, alors voilà le danger.
Admirons au passage la prudence de Socrate dans le passage cité en
annexe : « Je te donne cette explication sans en être bien sûr ». Comment
Socrate peut-il parler sans être sûr ? Simplement parce que le moment de
la vérification n’est pas encore arrivé.
- Ensuite la
vérification, dans le domaine de la pensée ne signifie pas toujours
expérimenter ou calculer (comme dans un raisonnement logique). La vérité est ce
qui résiste à la contradiction – donc à la contre-pensée.
Reste bien sûr que, comme le disait Popper, certaines
pensées sont « infalsifiables »
entendez qu’on ne peut pas les réfuter : si je vous dis que Dieu existe,
je peux vous mettre au défi de prouver le contraire. Mais ce n’est pas une
raison pour dire que c’est vrai – mais plutôt que ce n’est pas absolument
sûr !
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(1) « Socrate – …
par penser entends-tu la même chose que moi ?
Théétète – Qu’entends-tu
par-là ?
Socrate – Un discours
que l’âme se tient à elle-même sur les objets qu’elle examine. Je te donne
cette explication sans en être bien sûr. Mais il me paraît que l’âme, quand
elle pense, ne fait pas autre chose que s’entretenir avec elle-même,
interrogeant et répondant, affirmant et niant. » (Théétète – 263e)
--> Notons que « pensée » traduit le terme grec
dianoia qui implique une pensée
discursive.
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