Blaise Cendras –
Bourlinguer – Gènes (ed. Quarto p.1071)
L’entonnoir de
Picasso.
Picasso a eu un étrange privilège : celui
d’impressionner ceux qui l’approchaient par son regard – voire même, comme ici,
par ses yeux. Et non pas simplement par un effet composite, mêlant des aspects
de sa personnalité transmis par sa voix, sa démarche, ses gestes, car nous
sommes nous-mêmes (nous qui ne l’avons pas rencontré) également fascinés par
ces yeux, un peu exorbités, tels qu’il se représente lui-même dans ses
autoportraits ou tels qu’on les voit ci-contre.
Ce que pointe Blaise Cendras c’est leur étrange
asymétrie : l’un « de jaloux
espagnol » qui maintenait à distance les étrangers un peu trop
curieux ; l’autre « en
entonnoir tourné en dedans » qui capture les formes et les couleurs,
les visages et les corps – le monde.
Picasso était un grand prédateur qui, tout en préservant
son mystère, était à l’affut de tout ce qui passait à sa portée et qui pouvait
alimenter son émotion créatrice. Car Picasso était un peintre figuratif, ce que
l’opinion vulgaire a toujours refusé d’admettre, considérant que le chaos
instauré dans la réalité telle que ses toiles la représentait ne pouvait
absolument pas exister.
L’œuvre de Picasso toute entière clame contre cette
erreur. Qu’on voie par exemple sa célèbre Femme
qui pleure (1937 (1)) :
on ne fait pas que voir les larmes qui jaillissent de ses
yeux : on entend aussi le crissement de ses dents qui déchirent son
mouchoir, on voit la convulsion de ses traits.
Voilà : c’est cela que l’entonnoir de Picasso a
capté.
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(1) Il y a de nombreuses toiles de Picasso qui portent ce
titre : il est tentant d’imaginer que si Picasso a fait pleurer beaucoup
de femmes, c’est pour renouveler son inspiration de peintre…
Retrouvez ce tableau dans l’étrange galerie réunie par la
section Arts Plastiques du lycée Costebelle sous le thème Figurer/Défigurer.
J’y puiserai prochainement d’autres exemples.
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