Il y a des libertés : la liberté n'a jamais existé.
Mussolini
– Discours
Sur mes cahiers d'écolier / Sur mon pupitre et les arbres /
Sur le sable sur la neige / J'écris ton nom
Paul Eluard – Liberté(1942)
Laissons de côté l’usage politique que le dictateur fasciste
pouvait tirer de cette phrase, et revenons à ce simple raisonnement : les
concepts n’existent pas – La liberté est un concept – Donc la liberté n’existe
pas.
Ce syllogisme est sophistique – Et voilà pourquoi.
Ce qui est voulu c’est souligner le contraste entre l’idée
et la réalité. Déjà, on voit qu’affirmer que les libertés existent est
une concession nullement exigée par notre syllogisme, et du coup on devine que Mussolini
manipule nos esprits : il nous affirme que les libertés, telles que définies une à une par les lois du régime fasciste,
sont la totalité de ce qu’on peut revendiquer en parlant de liberté.
Parler de la liberté,
c’est donner à croire que partout et toujours les hommes ont eu au moins la
même représentation, le même désir, les mêmes combats ; c’est parler de
liberté en la personnifiant, en s’adressant directement à elle. C’est un peu la
même attitude que pour la Nation, l’Honneur – et (oserai-je le dire ?) –
Dieu.
N’est-ce pas ce qu’on trouve dans le poème de Paul Eluard?
N’a-t-il pas justement célébré la liberté, à une époque où la terrible tyrannie
nazie la rendait infiniment précieuse ?
Oui – mais voilà : Eluard, curieusement ne nomme jamais
la liberté, autrement que dans le titre. Ce qu’il interpelle, ce dont il écrit
le nom sur son cahier d’écolier, sur le sable et sur la neige, n’est jamais
nommé.
Cela suffit-il pour dire que paradoxalement le résistant
Eluard et le dictateur fasciste sont en accord sur la liberté ? Non,
n’est-ce pas : Eluard ne dit nulle part que les libertés sont la seule
réalité que peut désigner le mot « liberté ».
On pourrait dire qu’en s’adressant à un interlocuteur (ce
que fait le poète à propos de la liberté) on n’a pas besoin de le nommer,
l’équivoque n’existant pas. Mais justement – Eluard est un poète et c’est
sans doute autre chose qui le détermine : comme si le mot Liberté était trop petit pour signifier
son immense réalité, il nous donne son contour – que dis-je son contour ?
– sa vibration, ou plutôt tout ce qui à l’entour de la liberté en ressent le
souffle.
Tout ce que le dictateur cherche à étouffer, et qui est trop
grand pour qu’il y parvienne.
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