Jadis, le passé était voué à éclairer l’avenir en fournissant des exempla. La Révolution aurait au contraire cherché dans l’avenir la signification rétrospective de l’Histoire en fixant à celle-ci une finalité. Et notre temps a sombré dans le « présentisme » : le règne d’un présent tout puissant sans perspective d’avenir clairement définissable.
Jean-Noël Jeanneney
– La Grande Guerre, si loin, si proche
Commentaire 3
- « présentisme » :
le règne d’un présent tout puissant.
Voilà une idée frappée au coin du bon sens : vivons
dans le présent parce qu’il est seul à être.
A quoi bon agir pour un passé qui n’est plus ou pour un avenir qui n’est pas
encore ? Jouissez de l’instant qui passe, Carpe diem, etc…
Hélas ! Notre
temps a sombré dans le « présentisme » dit Jeanneney :
n’est-ce pas là une maladie que le siècle passé (20ème) a transmise
à celui-ci ? Le profit, le retour sur investissement, l’immédiat de la
jouissance, le tout-de-suite de l’efficacité : voilà notre credo. On se forme à un métier pour
s’adapter dès aujourd’hui au besoin du marché de l’emploi, au lieu de chercher
lentement, patiemment, l’enrichissement de notre personnalité ; dans le
bois au bout du village, les chênes plusieurs fois centenaires qu’on abat seront
remplacés par des sapins qui vivront 50 ans. Et l’élevage des poulets qui
seront sacrifiés au bout de 4 semaines, ou des veaux qui seront mûrs pour
l’abattoir en quelques mois ? Et les centrales nucléaires qu’on
surexploite, sans se demander ce qui se passera dans 20 ans ? Et le coût
du kilowattheure qui n’intègre pas les frais de recyclage – qui ne sont pas
pour tout de suite, mais pour bientôt ? Quel environnement, quelle
économie, quelle terre laisserons-nous à nos enfants quand ils auront 40 ans ?
… Je fais peut-être un accès de ronchonnite aigu, mais
quand même, tout ça, ça fait longtemps qu’on le sait :
- c’est en
1979 que Hans Jonas a publié son livre Le
principe responsabilité où il introduit la considération de l’avenir dans
l’évaluation morale.
- c’est
depuis 1968 (avec la critique de la société de consommation) qu’on dénonce la
manipulation des productions industrielles destinée à raccourcir la durée de
vie des produits afin de renouveler leur achat et donc le profit du fabricant –
on a même appelé ça : obsolescence
programmée.
- c’est
en 1880 que Lafargue écrivit dans le
droit à la paresse que les draps fabriqués dans nos filatures étaient
chargés d’un apprêt destiné à en raccourcir la durée.(1)
Et on en est là – maintenant ? Y de quoi râler, vous
ne croyez pas ?
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(1) Il dit à ce propos : « Notre époque sera
appelée l'"âge de la falsification", comme les premières époques de
l'humanité ont reçu les noms d'"âge de pierre", d'"âge de
bronze", du caractère de leur production ».
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