Selon Pierre Bourdieu, [dans la société Kabyle] il est
tout à fait possible de transformer l’honneur en argent, mais pratiquement
impossible de convertir l’argent en honneur.
David Graeber – La
dette (p. 339)
A quoi ça sert l’honneur ?
Voilà une question qui aurait fait tomber par terre quelqu’un
comme Montesquieu, et aussi quiconque l’entendrait aujourd’hui encore au-delà
des frontières de l’Arabie. Quant à nous cette notion est parfaitement désuète
au point qu’on n’imagine même pas nous guider sur la valeur qu’elle nous
indique.
Toutefois, même chez nous l’honneur est resté longtemps
vivace dans les transactions commerciales sous forme de confiance : une poignée de main pour conclure un marché, et
voilà qui scelle l’affaire encore plus sûrement qu’un contrat en bonne et due
forme.
C’est dans ce cadre que prend place la remarque attribuée
à Bourdieu : les dettes supposent toujours la confiance et donc une
certaine respectabilité. Rembourser ses dettes est une question d’honneur, et –
avant de ne prêter qu’aux riches – on n’a
prêté d’abord qu’aux gens honorables. D’où l’expression de prêt d’honneur pour désigner des prêts à taux zéro (taux réservé au
risque zéro de non remboursement).
Si vous êtes dubitatif devant ces remarques, songez au
cas de la Grèce : on lui reproche non pas tant de s’être endetté au-delà
du raisonnable, mais surtout de l’avoir fait en trompant ses débiteurs sur la
réalité de ses comptes publics. Les Grecs nous ont menti pour qu’on leur prête
de l’argent, et cette faute justifie qu’on les étrangle maintenant, fortement
mais pas trop, pour que ça dure plus longtemps. Cette faute est leur déshonneur
– et à cela il n’y a rien à faire, car bien sûr l’honneur ne s’achète pas,
comme le dit Bourdieu.
o-o-o
On se récrie devant ces pays où la vertu des femmes est
la condition de l’honneur des hommes : mœurs moyenâgeuses !
Mais ne l’oublions pas : l’honneur existe aussi chez
nous aujourd’hui. Simplement il ne dépend pas des femmes mais de la gestion de
notre compte en banque. C’est ce qui est rappelé de façon réglementaire dans
tous les prospectus financiers :
« Un crédit vous engage et doit être remboursé.
Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager. Cette
mention est à présent obligatoire sur toute
publicité pour le crédit depuis le 1er septembre,
suite à l’adoption de la loi Lagarde (LOI n° 2010-737 du 1er juillet 2010) sur
le crédit. »
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