Ce n'est pas tout de mourir : il faut mourir à temps.
Jean-Paul Sartre –
Les Mots
Dans le débat récurrent sur l’euthanasie, cette sentence
de Sartre sonne comme un jugement sans appel : non seulement il y a un
moment pour renoncer à la vie, mais ce renoncement devrait tenir compte de
l’exigence des vivants, ainsi que nous le prouve son texte : « Ce n'est pas tout de mourir : il faut mourir
à temps. Plus tard, je me fusse senti coupable ; un orphelin conscient se donne
tort : offusqués par sa vue, ses parents se sont retirés dans leurs
appartements du ciel. Moi, j'étais ravi… Par chance, il est mort en bas âge ;
j’ai laissé derrière moi un jeune mort qui n’eut pas le temps d’être mon père
et qui pourrait être, aujourd’hui, mon fils. »
Car quel est le moment opportun pour mourir ? Et à
qui appartient-il de le fixer ? L’euthanasie ne fait réellement problème
que lorsqu’on doit la réaliser sans la participation du mourant (sans quoi on
aurait un suicide) – ce qui fait qu'on doit décider à sa place que le moment est
venu. Il appartient alors à la famille (à supposer qu’elle soit unanime sur ce
point) de dire quelle était la volonté de futur défunt, ce qu’il ferait s’il
était encore conscient, quelles étaient les valeurs en fonction des quelles il
se serait prononcé.
Revenant au texte de Sartre, on constate qu’il parle de
son Papa, qu’il a perdu très tôt devenant du coup un très jeune orphelin. Voilà
des propos qui risquent de nous choquer plutôt que de nous éclairer…
En réalité, on comprend que Sartre se réjouit parce que
ce père est mort avant d’exister pour lui. Du coup, il y aurait deux sortes
d’euthanasies (nous prenons le mot dans son sens étymologique de « bonne mort ») : l’une qui
mettrait fin à une existence qui ne mérite plus d’être vécue ; l’autre qui
l’empêcherait de commencer véritablement (comme des amoureux maudits qui se
sépareraient dès le début de leur liaison pour éviter que leur funeste passion
ne les dévore). Du coup, on peut dire que le Papa-mort de Sartre s’est retiré
sur la pointe des pieds dès que sa tâche procréatrice a été accomplie.
« Se retirer
sur la pointe des pieds » : voilà une bonne définition de la
bonne mort.
A suivre…
No comments:
Post a Comment