Sunday, January 05, 2014

Citation du 6 janvier 2014


Ce n'est pas tout de mourir : il faut mourir à temps.
Jean-Paul Sartre – Les Mots
Dans le débat récurrent sur l’euthanasie, cette sentence de Sartre sonne comme un jugement sans appel : non seulement il y a un moment pour renoncer à la vie, mais ce renoncement devrait tenir compte de l’exigence des vivants, ainsi que nous le prouve son texte : « Ce n'est pas tout de mourir : il faut mourir à temps. Plus tard, je me fusse senti coupable ; un orphelin conscient se donne tort : offusqués par sa vue, ses parents se sont retirés dans leurs appartements du ciel. Moi, j'étais ravi… Par chance, il est mort en bas âge ; j’ai laissé derrière moi un jeune mort qui n’eut pas le temps d’être mon père et qui pourrait être, aujourd’hui, mon fils. »
Car quel est le moment opportun pour mourir ? Et à qui appartient-il de le fixer ? L’euthanasie ne fait réellement problème que lorsqu’on doit la réaliser sans la participation du mourant (sans quoi on aurait un suicide) – ce qui fait qu'on doit décider à sa place que le moment est venu. Il appartient alors à la famille (à supposer qu’elle soit unanime sur ce point) de dire quelle était la volonté de futur défunt, ce qu’il ferait s’il était encore conscient, quelles étaient les valeurs en fonction des quelles il se serait prononcé.
Revenant au texte de Sartre, on constate qu’il parle de son Papa, qu’il a perdu très tôt devenant du coup un très jeune orphelin. Voilà des propos qui risquent de nous choquer plutôt que de nous éclairer…
En réalité, on comprend que Sartre se réjouit parce que ce père est mort avant d’exister pour lui. Du coup, il y aurait deux sortes d’euthanasies (nous prenons le mot dans son sens étymologique de « bonne mort ») : l’une qui mettrait fin à une existence qui ne mérite plus d’être vécue ; l’autre qui l’empêcherait de commencer véritablement (comme des amoureux maudits qui se sépareraient dès le début de leur liaison pour éviter que leur funeste passion ne les dévore). Du coup, on peut dire que le Papa-mort de Sartre s’est retiré sur la pointe des pieds dès que sa tâche procréatrice a été accomplie.
« Se retirer sur la pointe des pieds » : voilà une bonne définition de la bonne mort.
A suivre

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