Qu’on loge un philosophe dans une cage de menus filets
clairsemés, qui soit suspendue au haut des tours de Notre-Dame de Paris… et si
ne se saurait garder que la vue de cette hauteur extrême ne l’épouvante et ne
le transisse.
Montaigne
- Essais II, 12 (repris par Pascal – Cité ici)
Tout concept, pour pertinent qu'il soit, est le fruit
d'émotions singulières dont la confusion fut canalisée par un agir réflexif
tout autant singulier et dont il convient par conséquent de relativiser la
portée universelle.
La confusion des
sentiments – Débat du Café-Psy
Le philosophe a toujours des mots pour dire ce qu’il pense,
mais non ce qu’il ressent. Ainsi du vertige qui saisirait un philosophe pendu
au-dessus du vide. Seulement, revenu sur terre, cet homme aurait tôt fait d’oublier
son trouble en mettant la raison à la place de ses émotions : mais il ne
peut rationaliser ces dernières qu’à condition de les dénaturer.
Façon de dire que le philosophe, tout comme le commun des
mortels, manque pour l’essentiel des
mots pour dire ses émotions ; il est en situation d’alexithymie.
L’auteur de l’article cité souligne les effets de cette
impuissance : les conflits émotionnels se « règlent » alors sans
que nous puissions – en tant qu’être conscient et responsable – y prendre part,
et souvent au détriment de notre santé. Du coup, la rationalité se révèle donc
être une illusion dans la mesure où elle prétend suffire à dire tout ce qui est
pensable.
Pourtant, il est faux de dire que le langage est impuissant
à dire nos émotions : les mots ont en eux mêmes un potentiel affectif
suffisant. En réalité, c’est parce que nous avons appris tout petit (souvent
avant même de posséder le langage) qu’il était dangereux de partager ses
émotions et qu’il convenait donc de les taire. L’alexithymie serait donc
l’effet d’une peur des mots.
La conclusion de l’article du Café-Psy porte un jugement sur le rapport entre philosophie et vécu
intime du philosophe : c’est là, dans la retraite où se dissimule
l’intimité affective d’un philosophe – c’est à dire d’un homme – que s’ébauche
ce système de concepts dont on prétend qu’il contient tout ce qui compte pour
l’humanité. Pourquoi le doute cartésien – peut-être par la haine d’un père trop
autoritaire ? Et pourquoi Kant veut-il imposer son rigorisme – pour
se débarrasser de la responsabilité du choix ? Faudrait-il psychanalyser
les philosophes pour débusquer les racines de leur système ?
Certes, ces derniers ont leur fondement ailleurs, dans la
raison, dans ce qui se dit sans laisser de non-dit (1). Mais qui nous dira si,
bercé par d’autres bras ou né à une autre époque, Descartes aurait choisi la
voie du doute et Kant celle du rigorisme.
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(1) On reproche à certains philosophes d’écrire comme des
cochons (Kant par exemple) : mais leur style épouvantable ne serait-il pas
justifié par la volonté de fabriquer des concepts aux contours clairs et de
montrer leurs articulations distinctement ?
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