La concurrence qui, loin de viser à la perfection, submerge
les produits consciencieux sous des amas de produits décevants, imaginés pour
éblouir le public qui n’obtient le vil prix qu’en obligeant l’ouvrier à se
perdre la main dans les ouvrages bâclés, en l’épuisant, en l’affamant, en tuant
sa moralité par l’exemple du peu de scrupule ; la concurrence qui ne donne la
victoire qu’à celui qui a le plus d’argent ; qui, après la lutte, n’aboutit
qu’au monopole dans les mains du vainqueur et au retrait du bon marché. La
concurrence qui fabrique n’importe comment, à tort et à travers, au risque de
ne pas trouver d’acheteurs et d’anéantir une grande quantité de matière
première qui aurait pu être employée utilement mais qui ne servira plus à rien.
Gracchus
Babeuf (Guillotiné en 1797)
J’ai cherché comment alléger cette citation par des coupures
qui ne la dénatureraient pas.
Mais j’y renonce : d’une part pour rendre hommage à
Babeuf et à sa lucidité. Et d’autre part pour montrer que la concurrence, ainsi
que le productivisme qui l’accompagne, était, déjà à cette époque, responsable
des catastrophes humaines et environnementales qui nous désolent à présent.
Pourtant, plus de deux siècles d’abus ne nous ont pas
découragés de faire de la concurrence la valeur devant la quelle nous nous
inclinons, nous, les fiers enfants de la Révolution – nous qui avons guillotiné
le roi, jeté à bas les privilèges et débarrassé la vie publique des oppresseurs
de tout acabit.
Tout ça pour ça…
Comment avons-nous été assez sots pour croire que la liberté
de la concurrence était la liberté
suprême ? Assez aveugles pour voir en elle la clé de la prospérité pour
tous ? Assez corrompus pour aimer l’opulence achetée au prix de la misère
des autres – Il est vrai que nous sommes assez vertueux pour assortir cette
concession d’une condition : que ces malheureux soient de l’autre côté de
la frontière.
Babeuf le rappelle : la concurrence aboutit, c’est
là sa démarche naturelle, à son contraire : le monopole qui s’instaure sur
les ruines des entreprises qui ont été vaincues. Nous l’oublions peut-être
parce que, quand ce malheur arrive, on l’attribue à quelque autre cause ; mais regardons
mieux, là où le processus est encore en marche – par exemple dans le domaine
agricole. Voyez ce que la libre concurrence faut subir à la Terre, aux animaux,
aux produits que nous consommons. La ferme des 250000 poulets est-elle autre
chose que l‘expression de cette concurrence qui lie la production
alimentaire au profit?
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