Monday, February 02, 2015

Citation du 3 février 2015

Je soutiens qu'il ne peut y avoir aucune raison — hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur — de refuser d'étendre le principe fondamental d'égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces.
Peter Singer – La Libération animale
Le débat sur le projet de loi intitulé « qualité d’être doué de sensibilité accordée à l’animal » : sensiblerie ridicule à l’égard des animaux, ou bien dénonciation d’un principe dont les applications les plus évidentes vont jusqu’au pillage de la nature ?
Ce débat n’a pas seulement clivé de façon révélatrice la représentation nationale (le Sénat s’opposant à cette loi que la chambre des députés avait votée), mais il a conduit à réfléchir sur l’ensemble beaucoup plus vaste des attitudes des hommes face à la nature.
Bien sûr à l’origine de cette attitude se trouve Descartes : on lira le dossier de ce site « antispéciste ». Pour ma part je m’en tiendrai à la lecture de Lévi-Strauss dont je reproduis en annexe le texte issu de l’Anthropologie structurale 2, et j’en extrais l’idée qui va nous guider à présent.
Selon Lévi-Strauss, l’humanisme a consisté d’abord à isoler l’homme de la nature en lui conférant une dignité qui le place au-dessus d’elle. Ce faisant, il a donné aux hommes le droit de l’exploiter sans retenue, et comme, Heidegger le dira, de la considérer comme une « ressource » et les être vivants qui la composent comme des « stocks ». De même que, selon Valéry, c’est parvenu au sommet de la Civilisation que les peuples se sont précipités dans les plus abominables tueries, Lévi-Strauss dénonce l’humanisme triomphant qui en coupant l’homme de ses racines animales, encourage les pillages les plus scandaleux.
Mais le pire n’est peut-être pas là. Toujours selon Lévi-Strauss, on doit aussi se rappeler que l’humanisme a bien souvent permis à certains hommes de se distinguer d’autres hommes, à tracer une ligne de partage qui traverse l’humanité biologique pour distinguer les « Hommes » des « Sous-hommes ».
Selon cette logique, Hitler était un humaniste.
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Annexe.
« C'est maintenant (...) qu'exposant les tares d'un humanisme décidément incapable de fonder chez l'homme l'exercice de la vertu, la pensée de Rousseau peut nous aider à rejeter l'illusion dont nous sommes, hélas ! en mesure d'observer en nous-mêmes et sur nous-mêmes les funestes effets. Car n'est-ce-pas le mythe de la dignité exclusive de la nature humaine qui a fait essuyer à la nature elle-même une première mutilation, dont devrait inévitablement s'ensuivre d'autres mutilations ? On a commencé par couper l'homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru ainsi effacer son caractère le plus irrécusable, à savoir qu'il est d'abord un être vivant. Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ libre à tous les abus. Jamais mieux qu'au terme des quatre derniers siècles de son histoire l'homme occidental ne put-il comprendre qu'en s'arrogeant le droit de séparer radicalement l'humanité de l'animalité, en accordant à l'une tout ce qu'il refusait à l'autre, il ouvrait un cercle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d'autres hommes, et à revendiquer au profit de minorités toujours plus restreintes le privilège d'un humanisme corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l'amour-propre son principe et sa notion. » Claude Lévi-Strauss, Anthropologie Structurale Deux (1973), p.53.

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