Wednesday, March 11, 2015

Citation du 10 mars 2015

Il appartenait justement à l'espèce de gens qui, à cause de leur idéal, condamnent et l'humour et le cynisme - l'humour parce qu'ils y voient du cynisme - et le cynisme parce qu'ils n'y trouvent pas d'humour.
Aguéev – Roman avec cocaïne

Encore un retour sur l’épisode Charlie ? Oui, mais cette fois avec une question qu’on n’a pas posée – du moins pas suffisamment à mon goût : pourquoi les caricatures de Mahomet ne font-elles pas rire ? Du moins, pas rire tout le monde ? Que ressentent ceux qui n’y trouvent aucun humour ? Faut-il penser que c’est la blessure du blasphème qui les en empêche ? Imagine-t-on qu’ils riraient bien si on se moquait de Iahvé ou du Seigneur-Dieu des chrétiens ?
Sans doute, mais je veux imaginer qu’il y a aussi des gens choqués et qui ne rient pas du tout devant ces attaques du religieux, des gens qui disent : « Moi je ne suis pas Charlie, parce que je n’admets pas qu’on puisse rire avec des blasphèmes »
C’est à cette question précise que répond M. Aguéev : ceux qui ne rient pas, ce sont des gens qui ont un idéal, et qui ne rient pas quand un humoriste le prend pour cible. Bien banal comme explication, n’est-ce pas ? Mais attendons la suite. L’humoriste quant à lui clame qu’il est parfaitement excusable à partir du moment justement où il fait rire. C’est ainsi que parfois les chroniqueurs qui raillent l’actualité tombent sous le coup de la critique : ils peuvent dire tout ce qu’ils veulent, leur seul sauf-conduit étant le rire – mais ils sont inexcusables quand ils ne font pas rire.
Selon M. Aguéev, l’homme de l’idéal ne rie pas, parce qu’il trouve dans l’humour du cynisme. Le quel consiste à ne pas respecter les valeurs de l’idéal en question, une sorte de nihiliste qui nie toute réalité à ce que d’autres révèrent.
Et voilà l’essentiel : pour  l’homme de l’idéal, le cynisme ne fait pas rire, parce qu’il est à l’opposé de ses valeurs. Si vous n’êtes pas un humoriste, mais que vous ayez foi en une religion donnée, vous allez par exemple critiquer ceux qui croient en tel ou tel Dieu. Après tout, l’homme religieux ne peut croire en tous les dieux (sauf peut-être quelque bouddhiste). Mais celui qui nie toute valeur au fait religieux, celui qui se présente comme indifférent à toute religion, celui-là est le véritable ennemi. C’est ainsi que dans l’Egypte musulmane d’aujourd’hui, il vaut bien mieux être chrétien qu’athée.
Et ce qui est vrai de la religion l’est sans doute aussi de tout ce qui impose un engagement, politique ou autre.


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