Il appartenait justement à l'espèce de
gens qui, à cause de leur idéal, condamnent et l'humour et le cynisme -
l'humour parce qu'ils y voient du cynisme - et le cynisme parce qu'ils n'y
trouvent pas d'humour.
Aguéev
– Roman avec cocaïne
Encore un retour sur l’épisode Charlie ?
Oui, mais cette fois avec une question qu’on n’a pas posée – du moins pas
suffisamment à mon goût : pourquoi les caricatures de Mahomet ne
font-elles pas rire ? Du moins, pas rire tout le monde ? Que ressentent ceux qui n’y trouvent aucun
humour ? Faut-il penser que c’est la blessure du blasphème qui les en empêche ?
Imagine-t-on qu’ils riraient bien si on se moquait de Iahvé ou du Seigneur-Dieu
des chrétiens ?
Sans doute, mais je veux imaginer qu’il
y a aussi des gens choqués et qui ne rient pas du tout devant ces attaques du
religieux, des gens qui disent : « Moi je ne suis pas Charlie, parce
que je n’admets pas qu’on puisse rire avec des blasphèmes »
C’est à cette question précise que
répond M. Aguéev : ceux qui ne rient pas, ce sont des gens qui ont un idéal, et qui ne rient pas quand un humoriste
le prend pour cible. Bien banal comme explication, n’est-ce pas ? Mais
attendons la suite. L’humoriste quant à lui clame qu’il est parfaitement excusable
à partir du moment justement où il fait rire. C’est ainsi que parfois les
chroniqueurs qui raillent l’actualité tombent sous le coup de la
critique : ils peuvent dire tout ce qu’ils veulent, leur seul sauf-conduit
étant le rire – mais ils sont inexcusables quand ils ne font pas rire.
Selon M. Aguéev, l’homme de l’idéal ne
rie pas, parce qu’il trouve dans l’humour du cynisme. Le quel consiste à ne pas respecter les valeurs de l’idéal
en question, une sorte de nihiliste qui nie toute réalité à ce que d’autres
révèrent.
Et voilà l’essentiel : pour l’homme de l’idéal, le cynisme ne fait pas
rire, parce qu’il est à l’opposé de ses valeurs. Si vous n’êtes pas un
humoriste, mais que vous ayez foi en une religion donnée, vous allez par
exemple critiquer ceux qui croient en tel ou tel Dieu. Après tout, l’homme
religieux ne peut croire en tous les dieux (sauf peut-être quelque bouddhiste).
Mais celui qui nie toute valeur au fait religieux, celui qui se présente comme
indifférent à toute religion, celui-là est le véritable ennemi. C’est ainsi que
dans l’Egypte musulmane d’aujourd’hui, il vaut bien mieux être chrétien
qu’athée.
Et ce qui est vrai de la religion l’est
sans doute aussi de tout ce qui impose un engagement, politique ou autre.
No comments:
Post a Comment