Thursday, March 05, 2015

Citation du 6 mars 2015

Il ne faut pas faire par des lois ce qu'on peut faire par les mœurs.
Montesquieu – Le Spicilége, Pensée n° 1007 (Maximes générales de politique – Lire ici)
(Sur le rapport entre les lois et les mœurs chez Montesquieu, voir cet article de Céline Spector)
Revenons sur le « Paradoxe Charlie » : la liberté d’expression ne tolère aucune limite et donc devrait aller jusqu’à la liberté de blasphémer. Mais les fidèles, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs, affirment que le blasphème est insupportable, qu’il offense Dieu, et que pour eux-mêmes il est une blessure qu’on devrait interdire. Du coup, tous ceux qui ont été horrifiés du massacre des caricaturistes n’auraient peut-être pas été si choqués que ça si, pour l’éviter, on en avait interdit la publication. Et d’ailleurs, nous dit-on, bien des pays ont légiféré pour interdire le blasphème : pourquoi pas nous ? (1)
C’est ici qu’on doit rappeler cette pensée de Montesquieu. La limite de la liberté doit être une limite librement consentie. Certes, la liberté civile est toujours limitée par la loi ; et la liberté d’expression ne déroge pas à cette règle : je n’ai pas la liberté de publier des accusations calomnieuses par exemple. Mais s’agissant du blasphème, à supposer qu’on doive condamner ses effets sur les citoyens-religieux, comment le définir ?  Car, depuis 1905 – date à la quelle l’Etat et l’Eglise (= la religion) se sont séparés – le blasphème a du même coup disparu de l’horizon juridique et c’est une notion qui n’apparait dans aucun dictionnaire juridique (exception faite de l’Alsace-Moselle, comme signalé sous la note (1)).

Reste que, comme on vient de le voir, la paradoxe est qu’on ne peut vouloir blesser nos concitoyens sous prétexte que la loi ne l’interdit pas : irais-je nuire à mon voisin simplement parce que la loi ne pourrait pas m’en punir ?
Reste donc à dire que là où le droit reste silencieux, la morale parle encore. Il n’est pas dit qu’il soit bon de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi.
Sans entrer dans le débat du rapport chez Montesquieu entre le droit et les coutumes (voir article cité) on peut quand même dire deux choses :
- D’abord que selon Montesquieu la loi est subsidiaire par rapport aux coutumes et aux mœurs. Si nous ne légiférons pas sur le blasphème, on peut néanmoins estimer qu’un homme  estimable et respectueux de son prochain, ne devrait pas le faire au risque de blesser un croyant. Je peux dire tout ce que je veux du Prophète Mahomet – mais pas en présence d’un musulman. C’est une véritable banalité, mais après tout qu’importe ?
- La limite de la liberté d’expression ne peut-être qu’une limite librement consentie. Elle exclut donc la loi, mais elle inclut la volonté vertueuse.
--------------------------------------

(1) D’ailleurs en Alsace-Moselle, les articles166 et 167 du Concordat, jamais abrogé depuis 1918, punissent en France et aujourd’hui même les blasphèmes et entraves au libre exercice du culte. (Voir ici)

No comments: