Il ne faut
pas faire par des lois ce qu'on peut faire par les mœurs.
Montesquieu – Le Spicilége, Pensée n°
1007 (Maximes générales de politique – Lire ici)
(Sur
le rapport entre les lois et les mœurs chez Montesquieu, voir cet article de
Céline Spector)
Revenons sur
le « Paradoxe Charlie » :
la liberté d’expression ne tolère aucune limite et donc devrait aller jusqu’à
la liberté de blasphémer. Mais les fidèles, qu’ils soient chrétiens, musulmans
ou juifs, affirment que le blasphème est insupportable, qu’il offense Dieu, et
que pour eux-mêmes il est une blessure qu’on devrait interdire. Du coup, tous
ceux qui ont été horrifiés du massacre des caricaturistes n’auraient peut-être
pas été si choqués que ça si, pour l’éviter, on en avait interdit la
publication. Et d’ailleurs, nous dit-on, bien des pays ont légiféré pour
interdire le blasphème : pourquoi pas nous ? (1)
C’est ici
qu’on doit rappeler cette pensée de Montesquieu. La limite de la liberté doit
être une limite librement consentie. Certes, la liberté civile est toujours
limitée par la loi ; et la liberté d’expression ne déroge pas à cette
règle : je n’ai pas la liberté de publier des accusations calomnieuses par
exemple. Mais s’agissant du blasphème, à supposer qu’on doive condamner ses
effets sur les citoyens-religieux, comment le définir ? Car, depuis 1905 – date à la quelle l’Etat et
l’Eglise (= la religion) se sont séparés – le blasphème a du même coup disparu
de l’horizon juridique et c’est une notion qui n’apparait dans aucun
dictionnaire juridique (exception faite de l’Alsace-Moselle, comme signalé sous
la note (1)).
Reste que, comme
on vient de le voir, la paradoxe est qu’on ne peut vouloir blesser nos
concitoyens sous prétexte que la loi ne l’interdit pas : irais-je nuire à
mon voisin simplement parce que la loi ne pourrait pas m’en punir ?
Reste donc à
dire que là où le droit reste silencieux, la morale parle encore. Il n’est pas
dit qu’il soit bon de faire tout ce
qui n’est pas défendu par la loi.
Sans entrer
dans le débat du rapport chez Montesquieu entre le droit et les coutumes (voir
article cité) on peut quand même dire deux choses :
- D’abord que
selon Montesquieu la loi est subsidiaire par rapport aux coutumes et aux mœurs.
Si nous ne légiférons pas sur le blasphème, on peut néanmoins estimer qu’un
homme estimable et respectueux de son
prochain, ne devrait pas le faire au risque de blesser un croyant. Je peux dire
tout ce que je veux du Prophète Mahomet – mais pas en présence d’un musulman.
C’est une véritable banalité, mais après tout qu’importe ?
- La limite
de la liberté d’expression ne peut-être qu’une limite librement consentie. Elle
exclut donc la loi, mais elle inclut la volonté vertueuse.
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(1) D’ailleurs
en Alsace-Moselle, les articles166 et 167 du Concordat, jamais abrogé depuis
1918, punissent en France et aujourd’hui
même les blasphèmes et entraves au libre exercice du culte. (Voir ici)
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