Quel Dieu
derrière Dieu, tisse la trame : / poussière et temps et songe et agonies ?
(¿Qué Dios
detrás de Dios la trama empieza / de polvo y tiempo y sueño y agonías?)
Jorge Luís Borges – Echec II
Comme souvent
avec Borges on pourrait discuter la traduction qu’on nous propose de ses textes,
mais il y a plus urgent à faire ici : réfléchir à ce qui fait qu’il n’y a
pas de Dieu derrière Dieu, entendez de puissance supérieure à Lui.
Ce n’était pas les cas dans l’Antiquité : les Dieux
de l’Olympes obéissaient à Zeus, mais celui-ci avait un autre maitre :
c’était l’anankè – la fatalité ;
la mythologie grecque considère qu’anankè
est antérieure à Zeus, et qu’elle déroule une nécessité sur la quelle il ne
peut rien. Au contraire, la religion chrétienne fait de la Nécessité une force
immuable mais seulement au sein de la Création ; par contre elle n’a pas
de prise sur la volonté de Dieu – c’est du moins ce que je comprends de
l’article de Dominique Hernandez (voir ici). On comprend que Dieu peut, s’Il le
veut, faire des miracles, alors que même Zeus ne pouvait pas en faire.
Bref, on peut
dire que dans notre civilisation la Fatalité n’existe pas de façon absolue,
mais seulement à l’échelle humaine, justement, comme dit Borgès, dans la poussière et le temps, et le
songe et l’agonie. La Fatalité gouverne un monde sans miracle, c'est à dire lorsque
Dieu s’en est retiré. C’est ce qu’on nomme « le désenchantement du monde », formule reprise de Weber par Marcel
Gauchet (1) indiquant que le monde magique où Dieu était présent et intervenait
selon qu’il exauçait ou non les prières des hommes a disparu, laissant dans la
société politique l’homme aux prises avec l’homme.
Ce qui ne
signifie pas que désormais la démocratie règne partout, mais seulement que personne
ne peut se revendiquer comme le faisaient les Rois de France, d’être les « lieutenants
de Dieu » sur terre (2).
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(1) « le
christianisme est donc bien « la religion de la sortie de la religion », ce qui
ne signifie pas pour autant « sortie de la croyance religieuse », mais « sortie
d'un monde où la religion est structurante, où elle commande la forme politique
des sociétés et définit l'économie du lien social. » Marcel Gauchet – Lire ici
(2) « Dieu
établit les rois comme ses ministres et règne par eux sur les peuples. Les
princes agissent comme ministres de Dieu et ses lieutenants sur la terre. C'est
par eux qu'il exerce son empire. Le trône royal n'est pas le trône d'un homme
mais le trône de Dieu même. Il paraît de tout cela que la personne des rois est
sacrée et qu'attenter contre eux est un sacrilège. Il y a donc quelque chose de
religieux dans le respect qu'on rend au prince. Il n'y a que Dieu qui puisse
juger de leurs jugements et de leur personne. » Bossuet – Politique tirée de
l'Écriture sainte.
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