A l'exemple
d'icelluy vo' convient estre saiges pour fleurer sentir & estimer ces beaux
livres de haulte gresse, legiers au prochaz: & hardiz à la rencontre. Puis
pour curieuse leczon, & meditation frequente rompre l'os, & sugcer la
substantificque mouelle.
Rabelais – Gargantua (1542), Prologue (Edition
de 1535, ici)
En français
moderne : À son exemple (1), vous
devez être sage, pour sentir, appréhender et estimer ces beaux livres au
contenu de haute graisse, léger à la poursuite et hardi à l’attaque. Puis il
vous faut, par lecture attentive et de
fréquente méditation, rompre l’os et sucer la substantifique moelle…
Idem, translation en français moderne
(ed. du Seuil modifiée – En ligne, lisez une version convenable ici)
1 – D’abord,
je voudrais observer combien la question de l’authenticité du texte est
sensible chez Rabelais : lire le texte original, c’est être plongé
dans sa pensée et dans son univers, c’est aussi saisir les inflexions du
langage de son époque, c’est un peu humer l’air du 16ème siècle. Mais
en même temps il est parfois impossible de lire ce texte sans un dictionnaire
de l’ancien français, et surtout sans y ajouter un commentaire des passages
(allusions, références, images, etc.) devenus indéchiffrables aujourd’hui. D’où
le recours à deux éditions, l’originale et la translation en français moderne
(et encore faut-il tomber sur la bonne !) : tout ça ne rend pas la
lecture très fluide… (2) Mais enfin, comment aujourd’hui encore lire un livre
sans chercher comme le dit Rabelais un ouvrage de haute graisse ? Oui, la graisse peut-être bonne, de noble
qualité et capable de nourrir notre âme !
2 – Me voici
parvenu au second point : ces jours-ci, les livres – principalement les
romans – déferlent en avalanche sur les tables de nos libraires, et à moins d’être un critique professionnel, nous
n’aurons jamais le temps de lire tout ça. Comment choisir ?
Ecoutons
Rabelais : il faut, qu’outre la haute graisse, le livre soit, comme les
chiens courants, léger à la poursuite et hardis à l’attaque. Un livre doit être
léger dans son style, mais il doit aussi faire face aux propos adverse et
mordre fortement dedans. Toutefois tout ne dépend pas seulement de
l’auteur : il faut aussi une attitude du lecteur qui remâche et médite, et
qui n’hésite pas à contourner l’apparence de l’histoire qui nous est contée,
pour en saisir le sens profond et essentiel. C’est dans la substantifique mouelle que se trouve la haulte gresse.
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(1) Rabelais
parle du chien, « bête la plus philosophe du monde » qui brise l’os
pour en sucer la moelle.
(2) Pour ma
part je fais appel à l’édition du Seuil avec translation en français moderne
qui est présentée dans les marges du texte original.
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