La liberté de critique est totale en URSS et le citoyen
soviétique améliore sans cesse sa condition au sein d'une société en
progression continuelle.
Sartre,
de retour d'URSS, Libération, 15 juillet 1954
Oui, vous avez bien lu : nous sommes en 1954, et c’est
Jean-Paul Sartre qui écrit cela dans le journal Libération – pas le journal qui
porte ce nom aujourd’hui, mais celui qui, issu de la Résistance, fut publié de
1941 à 1964.
Alors qu’il était en plein compagnonnage avec le PCF, dans
les années 1950, il rétorqua à ceux qui critiquaient le colportage de
pareilles contre-vérités qu'« il ne faut pas désespérer Billancourt »,
voulant signifier par là qu’il ne faut pas forcément dire la vérité aux
ouvriers, de peur de les freiner dans leur élan révolutionnaire.
Sartre a donc endossé le costume de l’idiot utile, expression attribuée à Lénine qui servait à qualifier
les Occidentaux sympathisants du communisme, qui reprenaient et répandaient
sans grand sens critique la propagande de l’Union soviétique. Toutefois, il
s’agit comme on s’en doute d’une ruse, Sartre n’étant pas un idiot, mais celui
qui fait l’idiot.
Bon – c’est bien banal en effet. Mais n’y a-t-il pas des cas
où on n’est certes pas idiot, mais où on le devient ? Des cas où on finit
pas croire sincèrement à des bêtises simplement parce qu’elles émanent du
bureau politique ? Mais attention : il ne s’agit pas simplement
d’éléments de langage, bouts de phrases répétés mécaniquement pour faire front
aux critiques. Il s’agit d’énoncés de « vérité », dont le poids est
d’autant plus lourd qu’ils sont formulés par le groupe dont on fait partie.
Après tout, on ne s’étonne pas de voir les membres d’une
sectes répéter les phrases prononcées par le Gourou :
il s’agit en réalité d’un processus très général et donc très commun, qui
déborde largement le cadre des sectes. Les radicalisations religieuses en sont
certes un exemple ; mais aussi les clubs de supporters, les groupes de
copains qui sortent le samedi soir.
Mais dans ce cas, la vérité admise en commun débouche sur
des actes commis en commun. Et ça, c’est plus grave.
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