Que lentement passent les heures,
Comme passe un enterrement.
Tu pleureras l'heure où tu pleures,
Qui passera trop vitement,
Comme passent toutes les heures.
Guillaume
Apollinaire – Alcools, À la santé (1913)
Je persiste à croire qu’il ne faut pas commenter les poèmes,
il faut leur laisser leur mystère, mystère de leur signification, mystère de
l’émotion qu’ils suscitent, mystère des gouffres qu’ils enjambent. Si je fais
une exception aujourd’hui pour ce poème, c’est uniquement pour observer de près
un paradoxe qu’il charrie, en espérant toutefois ne pas en déflorer la chair.
Tu
pleureras l'heure où tu pleures : pour Apollinaire le bonheur peut très
bien se cacher dans le malheur, et nous pourrions faire le vœu de voir passer
la vie à la cadence d’un enterrement, afin de conserver le souvenir de nos
pleurs anciens comme d’une joie enfuie. Mais enfin, qu’est-ce donc que ce
bonheur qui a été vécu comme tristesse et comme larmes ? Par quelle
alchimie cette transmutation s’est-elle opérée, si toutefois elle s’est opérée,
et si le poète n’utilise pas ses sortilèges pour nous illusionner ?
On peut se rappeler Nietzsche et son éternel retour qui
signe l’amour de la vie. Oui, qu’il existe ou n’existe pas – peu importe :
l’éternel retour reste le souhait de voir revenir tous les épisodes d’une vie
de sorte qu’arrivés à l’ultime seconde de notre existence, on se dise :
« Ah… Si seulement ça pouvait recommencer, j’aimerais tout revivre, y
compris les échecs aux larmes amères et les trahisons cruelles tout autant que
les triomphes ».
Oui, aurions-nous le même amour de la vie que
Nietzsche ? Serions-nous comme lui et comme Apollinaire à rêver à nos
larmes d’autres fois comme à une ondée de printemps. « Oui, nous étions
bien jeunes en ce temps là, nous pleurions comme ne pleurent pas les vieux
dur-à-cuire. Que ces larmes étaient savoureuses… » ? Bien sûr ce
n’est pas du tout l’attitude qui prime aujourd’hui, où il nous faut consommer
le bonheur comme on consomme un hamburger : tout de suite, sur place, à ne
surtout pas empiler au fond d’un placard avec l’intention de l’exhumer plus
tard, l’hiver venu.
Et pourtant n’est-ce pas cela qu’il faudrait faire ?
1 comment:
l'esprit encore mou d'un reveil trop tôt mais j'apprécie
je vous embrasse
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