Les nations pauvres, c'est là où le peuple est à son aise ;
les nations riches, c'est là où il est ordinairement pauvre.
Destutt
de Tracy - 1754-1836 (Elément d’idéologie)
Ce paradoxe, Destutt l’explique simplement : quand on
parle de nation riche de qui parle-t-on ? On parle d’un centième de la
population qui jouit des richesses du pays, alors que les 99 centièmes sont
« abattus par l’oppression et
dévorés par la misère ». Quant aux nations « pauvres », il
s’agit des pays où les richesses sont également réparties en sorte que chacun
puisse en jouir à égalité avec les autres. La richesse apparaît donc comme liée
à un différentiel des richesses : il n’y a de pays riche que là où il y a
des riches – et qu’importe que derrière eux il y ait une cohorte de misérables,
qui « lèvent leurs bras maigres », comme disait Marx, pour demander
un travail sous-payé.
De nos jours, l’idée reste cohérente avec la réalité : il
n’y a de nations riches que là où le peuple est pauvre – ce que nous constatons
tous les jours puisque les pays riches comme les Etats-Unis ou l’Allemagne sont
en réalité peuplés de travailleurs pauvres. Chaque matin en se réveillant,
monsieur Trump (le « Milliardaire ») a gagné durant la nuit autant
que 1500 ouvriers trimant toute la journée (1).
Mais alors, pourquoi la multitude accepte-t-elle de subir ce
sort contraire, et de voir ces messieurs-dames dans leur Porsche-Cayenne
habiter les beaux quartiers, alors qu’ils sont confinés dans les logements
lugubres et se déplacent dans des RER pourris ? Pourquoi acceptent-ils de
jouer indéfiniment le rôle du perdant ? Ont-ils comme le suggère La Boétie
un penchant pervers pour l’humiliation ? À moins qu’ils ne rêvent jouir
des félicités grâce au Loto ?
Oui, n’est-ce pas, tout est dit avec cette image : il
faut des riches, et cela pour le bonheur des pauvres ! Je le dis sans cynisme,
car c’est ainsi qu’ils peuvent avoir de quoi rêver (sur cette belle image, voyez la Rolls et surtout le château de La Belle au bois dormant à Disneyland).
Ce que La Boétie ne savait pas – mais ce que les siècles suivant la révolution
qui a aboli les privilèges nous ont révélé – c’est que le peuple adore les inégalités sociales,
à condition de pouvoir en profiter.
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(1) Qu’on excuse l’approximation de ces chiffres :
c’est l’idée qui compte.
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