Hobbes
– Léviathan (1651)
Liberté…
ce mot écrit aux frontons de notre République est une exigence fondamentale de
notre société. Nous devons la défendre coûte que coûte parce que sa disparition
serait l’acte de décès de notre organisation politique. Voilà la thèse démentie
ici par Hobbes.
Ici, la liberté n’est pas entendue comme un principe
organisateur de la société, mais simplement comme l’effet d’une lacune dans le
tissu des lois ; elle est une faille dans l’organisation de la société et
elle ne subsiste qu’à condition qu’une harmonie s’établisse spontanément entre
les hommes, sans que l’Etat ait besoin de l’imposer par la violence d’un
règlement. (Sur tout cela voir le texte complet en annexe). Au fond, la liberté
publique est un phénomène collectif qui échappe à deux régulations
opposées : l’une qui vient de la contrainte de la loi ; l’autre qui
résulte d’un besoin individuel satisfait par l’entraide collective.
1 – On comprend que pour Hobbes cette dernière situation
corresponde à la nécessité où nous sommes de nous associer à autrui pour survivre,
qui ne résiste pas à l’inégalité de force entre les groupe sociaux, dès lors
qu’un maitre a pu imposer sa volonté à des esclaves. L’esclave est l’homme qui
réclame la contrainte de la loi comme étant nécessaire pour soumettre son
maitre à l’autorité d’un souverain.
2 – La liberté est une situation, elle ne peut être une
revendication (1) : or, réclamer que tout homme soit aussi libre que moi,
c’est me mettre en danger d’être soumis à l’expression de cette liberté dès
lors que la libre force de l’adversaire l’emporte sur la mienne. Réclamer ce
qu’on a – à savoir la liberté physique et naturelle ; et refuser ce qui
pour la sauvegarder serait en état de la supprimer – à savoir la loi – voilà
l’absurde dilemme au quel l’homme social est soumis.
3 – Hobbes ne dénoue pas le problème de façon
théorique : il le soumet simplement à l’observation concrète. Oui, il y a
de la liberté publique dans les sociétés soumises par ailleurs à la volonté
d’un souverain. Mais cela est purement accidentel et ne peut d’ailleurs pas durer
indéfiniment.
« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! »
disait Saint-Just. Avec l’état d’exception on voit combien ce paradoxe reste
actuel.
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(1) Notre revendication républicaine de liberté porte sur l’interdiction
d’empêcher l’expression de la liberté individuelle. Elle ne la crée pas, elle
la rend viable partout où elle existe déjà.
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Annexe.
« Étant donné […] qu’il n’existe pas au monde de République où l’on ait établi suffisamment de règles pour présider à toutes les actions et paroles des hommes (car cela serait impossible), il s’ensuit nécessairement que, dans tous les domaines d’activité que les lois ont passés sous silence, les gens ont la liberté de faire ce que leur propre raison leur indique comme étant le plus profitable. Car si nous prenons la liberté au sens propre de liberté corporelle, c’est-à-dire le fait de ne pas être enchaîné, ni emprisonné, il serait tout à fait absurde, de la part des hommes, de crier comme ils le font pour obtenir cette liberté dont ils jouissent si manifestement. D’autre part, si nous entendons par liberté le fait d’être soustrait aux lois, il n’est pas moins absurde de la part des hommes de réclamer comme ils le font cette liberté qui permettrait à tous les autres hommes de se rendre maîtres de leurs vies. Et cependant, aussi absurde que ce soit, c'est bien ce qu’ils réclament ; ne sachant pas que les lois sont sans pouvoir pour les protéger s’il n’est pas un glaive entre les mains d’un homme (ou de plusieurs), pour faire exécuter ces lois. La liberté des sujets ne réside par conséquent que dans les choses que le souverain, en réglementant les actions des hommes, a passées sous silence, par exemple la liberté d’acheter, de vendre, et de conclure d’autres contrats les uns avec les autres ; de choisir leur résidence, leur genre de nourriture, leur métier, d’éduquer leurs enfants comme ils le jugent convenable et ainsi de suite. » Hobbes – Léviathan (1651)
« Étant donné […] qu’il n’existe pas au monde de République où l’on ait établi suffisamment de règles pour présider à toutes les actions et paroles des hommes (car cela serait impossible), il s’ensuit nécessairement que, dans tous les domaines d’activité que les lois ont passés sous silence, les gens ont la liberté de faire ce que leur propre raison leur indique comme étant le plus profitable. Car si nous prenons la liberté au sens propre de liberté corporelle, c’est-à-dire le fait de ne pas être enchaîné, ni emprisonné, il serait tout à fait absurde, de la part des hommes, de crier comme ils le font pour obtenir cette liberté dont ils jouissent si manifestement. D’autre part, si nous entendons par liberté le fait d’être soustrait aux lois, il n’est pas moins absurde de la part des hommes de réclamer comme ils le font cette liberté qui permettrait à tous les autres hommes de se rendre maîtres de leurs vies. Et cependant, aussi absurde que ce soit, c'est bien ce qu’ils réclament ; ne sachant pas que les lois sont sans pouvoir pour les protéger s’il n’est pas un glaive entre les mains d’un homme (ou de plusieurs), pour faire exécuter ces lois. La liberté des sujets ne réside par conséquent que dans les choses que le souverain, en réglementant les actions des hommes, a passées sous silence, par exemple la liberté d’acheter, de vendre, et de conclure d’autres contrats les uns avec les autres ; de choisir leur résidence, leur genre de nourriture, leur métier, d’éduquer leurs enfants comme ils le jugent convenable et ainsi de suite. » Hobbes – Léviathan (1651)
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