Montaigne – Les
Essais livre 1, chapitre 8 De l’oisiveté.
Allez, je vais être sympa avec vous : aujourd’hui je
vous propose la lecture d’un chapitre entier
des Essais de Montaigne pour un effort très limité, puisque qu’il est l’un des
plus court de tout l’ouvrage : vérifiez par vous-même sur ce site – et
lisez-le en entier !
- Donc : ce chapitre aborde la question de la
liberté et de ses dérives. Laissez votre esprit, la bride sur le cou,
vagabonder à son aise ; et voyez ce qu’il va produire – c’est cela que
nous propose Montaigne.
L’oisiveté
dissipant sans cesse l’esprit (1), aucune construction ne peut se
développer, et le nouveau chassant le nouveau, aucune œuvre digne de ce nom ne
peut naitre. Tout juste peut-on s’attendre à voir surgir ces rêveries informes
qu’il compare aux résidus de fausses couches issus du corps de femmes (2)
Bref : il semble que Montaigne déteste ces produits
de l’esprit d’où l’effort de la raison aurait disparu – esprit qui, profitant
de l’oisiveté où on l’aurait laissé,
donnerait libre cours à l’incohérence et à l’improductivité. Seulement,
voilà :
« Dernièrement
je me retirais chez moi (c’est Montaigne qui parle) , résolu autant que je pourrais, ne me mêler
d’autre chose que de passer en repos, et à part, ce peu qui me reste de vie :
il me semblait ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le
laisser en pleine oisiveté, s’entretenir soi même, et s’arrêter et rasseoir en
soi : ce que j’espérais qu’il peut désormais faire plus aisément, devenu avec
le temps plus pesant, et plus mûr. » (Texte légèrement modifié)
Mais alors, si ce ne sont que des chimères, pourquoi les stimuler ?
Et plus encore, les enregistrer
puisqu’on sait qu’il n’y a rien de bien à en attendre ? Tout simplement
parce que, dit Montaigne, « j’ay
commencé de les enregistrer, espérant avec le temps lui en faire honte à lui
même ». Exercice de mortification ? On n’y croit bien sûr pas un
seul instant : c’est que Montaigne va nous entretenir durant des années de
ces productions spontanées de l’esprit en les soutenant par les citations des plus
grands penseurs pour en tirer ce que Rabelais aurait appelé « la substantifique moelle » :
curieuse façon de « faire honte » à l’esprit qui les invente !
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(1) Traduction de la citation de Lucain proposée ici par
Montaigne. En latin, ça fait : variam
semper dant otia mentem, Lucain – Pharsale (IV, 704)
(2) « Nous voyons que les femmes produisent bien
toutes seules, des amas et pièces de chair informes, mais que pour faire une
génération bonne et naturelle, il les faut embesogner d’une autre semence »
Ces femmes étaient supposées non fécondées – mais ça, ça faisait partie des
fantasmes de l’époque.
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