La morale des États se résout, pour de si grands intérêts, à
hasarder le sacrifice de quelques particuliers.
Fontenelle
– Eloge de monsieur le comte de Marsigli (1658-1730)
…En se considérant comme une partie du public, on prend plaisir
à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour
le service d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente ; voire on voudrait
perdre son âme, s'il se pouvait, pour sauver les autres…
Remarque sur l’« affaire Ferrand »
Les ouvrages de nos classiques jettent parfois une lumière
crue – pour ne pas dire cruelle – sur notre actualité. Ainsi de l’
« affaire Ferrand » du nom du ministre soumis à une enquête
préliminaire du parquet de Brest pour abus de confiance. Car, alors que le
gouvernement – et même le Président – disent en chœur que « Non ! Jamais ! »,
ils ne demanderont la démission de cet homme dont la réputation ne peut être
mise en doute par de simples suspicions non avérées par l’enquête judiciaire –
hé bien chacun sait que la question n’est pas de savoir s’il est innocent ou
coupable, mais seulement à partir de quand son cas sera suffisamment
embarrassant pour qu’on exige son départ.
Cynisme politique ? Machiavélisme toléré pour cause de
« pragmatisme » ?
En tout cas, Fontenelle le dit tranquillement : lorsque
l’Etat se résout à sacrifier un particulier, c’est encore dans le cadre de la
morale. Oui, au 17ème siècle on nommait « moral » le fait
de sacrifier un particulier lorsque c’était dans l’intérêt du plus grand
nombre. C’est déjà ce que pensait Descartes dans l’extrait cité de sa lettre à
la Princesse Elisabeth : il y a une règle de morale qui concerne la vie
publique : elle exige qu’on se mette au service de la collectivité et que
l’on fasse tout ce qui est en son pouvoir pour le bien publique Ainsi donc, se
sacrifier pour elle est un bien, donc moralement acceptable ; mais si ce
sacrifice entraine une perte plus grande que l’avantage obtenu, alors la règle
en question ne s’applique plus (1).
Du coup, nous voici nanti d’un principe qui devrait
permettre se savoir s’il faut débarquer monsieur Ferrand du gouvernement :
c’est la règle du plus grand avantage. Si Monsieur Ferrand est un boulet pour
le gouvernement, alors il faut le
démissionner. Mais si, même dans l’hypothèse où il ferait perdre des voix aux
élections, sa présence en tant que ministre de la cohésion des territoires
était bénéfique à la Nation, alors il faudrait le maintenir.
Faire le maximum de bien et le minimum de mal : voilà
la règle morale à appliquer.
Seulement n’oublions pas que cette règle s’applique au bien public et non à l’intérêt privé de quelques uns qui ne
chercheraient qu’à conserver leur pouvoir.
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(1) « Et il faut
toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa
personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion, car on aurait
tort de s'exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses
parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste
de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver. »
écrit Descartes dans la même lettre : on ne saurait mieux dire !
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