J'échangerais toute ma
technologie pour un après-midi avec Socrate
Steve Jobs – Interview à Newsweek (2001)
Résumé du Post d’hier : Socrate a
demandé à Stevopoulos de lui dire en quoi les technologies révolutionnaires
inventées pour Apple sont une bonne chose pour ses concitoyens. Voici sa
réponse :
- Hé bien vois-tu Socrate,
mes inventions consistent à mettre sous les yeux des gens des écrans de toute
taille qui leur permettent de voir et d’entendre plein de choses : les unes
qui sont réelles mais qui sont loin, telles que des gens qu’ils connaissent mais
qui sont absents, ou des paysages qui sont à l’autre bout du monde ; et
puis d’autres encore qui n’existent pas comme les Aliens ou les dragons.
- Mais dis-moi :
lorsqu’ils regardent tout cela, est-ce qu’ils peuvent encore voir et entendre leurs
voisins ?
- Ça sûrement pas, Socrate
- Et tu penses que ça
pourrait être une bonne chose pour eux ? Et est-ce que moi je ferais mieux
de piocher l’écran de mon Smarphone plutôt de que tirer Polos par la manche
pour lui demander des comptes sur ses actes ?
Polos qui paraissait un peu
absent sursaute :
- Bien sûr Socrate ce serait
bien mieux pour moi – mais aussi pour toi, car ne l’oublie pas : tu
commences à nous casser les…
Socrate l’interrompt avec
vivacité :
- La question n’est pas là,
mais seulement de savoir si notre ami Stevopoulos fait comme il le prétend le bonheur
des hommes avec ses écrans, ou bien s’il doit pour le bien de tous continuer à
guider son troupeau de brebis dans pâturages du Vercors.
Stevopoulos a un haussement
d’épaule :
- Ah, Socrate, crois-tu me
troubler en posant cette question ? Vois-tu, nous savons tous que ce qui
rapporte beaucoup d’argent est une réussite et que ce qui réussit est bon.
- Ce que tu dis là, l’ami,
n’est pas ordinaire ! Si moi, par exemple, j’arrivais à danser sur un seul
pied, alors que personne ne parvient à le faire, ce serait une chose bonne
parce qu’admirable ?
- Oui, n’en doute pas,
Socrate, et bientôt des gens payeraient très cher pour te voir faire cet
exploit.
- Et toi, tu dis que si les
gens payent très cher tes écrans pour oublier ceux qui les entourent et
converser avec ceux qui sont très loin, alors c’est que c’est bon pour
eux ? Et même que, s’ils se mettent à les insulter ou à leur mentir, alors
qu’ils se cachent sous un pseudo et que personne ne peut les démasquer – c’est
cela qui va les rendre meilleurs ?
- Les rendre meilleurs… Je ne
sais pas Socrate ; toutefois, j’estime que s’ils payent mille dollars pour
ça, c’est que ça doit être bon pour eux. Vois-tu, je me demande seulement si
pour moi c’est une bonne chose de continuer à le faire ou bien, si d’autres
consentent à le faire à ma place, vers quels
nouveaux projets je devrais aller.
- Hé bien l’ami, écoute ce
que je vais te dire, car il me semble que mon démon s’agite et se met à parler
au fond de moi. (1)
Tout ce qui nous éloigne des
hommes est mauvais, parce que cela libère nos mauvais instincts. Si les hommes
dont tu nous parles peuvent faire ce qu’ils veulent sans que personne ne les
voit et sans qu’ils aient de comptes à rendre, alors ils vont devenir méchants
et sots, et sois bien certain que ce ne sera bon pour personne et que ni toi,
ni aucun de tes amis ne doit continuer à produire de pareilles machines. (2)
- Holà, Socrate ! Il me
semble que ton démon est bien exigeant : penses-tu que les gens vont payer
mille dollars pour parler morale et politique avec leurs voisins ?
- Qui te parle de
payer ? Interpeller les jeunes gens sur le marché, sans rien avoir à leur
vendre – pas même un tract politique – pour leur demander s’ils doivent soigner
leur vieux père plutôt que de s’en débarrasser dans un hospice, voilà ce qui ne
coute rien.
… Pendant ce temps, on
pouvait voir Aristophane caché juste derrière qui ne perdait pas une miette de
ce que disait Socrate et qui prenait des notes sur sa tablette.
C’était une tablette de cire
– bien sûr.
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(1) Pour ceux qui ne
connaissent pas le démon de Socrate, lire ici.
(2) On raconte que Platon
s’est inspiré de cette réplique de Socrate pour sa fable de l’« Anneau de Gygès ». Je ne sais ; en tout cas c’était encore une histoire de
berger…
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