Monday, April 10, 2006

Citation du 11 avril 2006

« Ah ! Ah ! Monsieur est Persan ? C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? »

Montesquieu - Les Lettres persanes (10)

Les étrangers restent étranges, jusque dans leur existence : peut-il seulement exister des êtres différents de nous ? En effet, les Parisiens de Montesquieu ne posent pas une question sur la manière d’être ou de s’habiller du Persan, mais bien sur le fait que des Persans puissent exister. Rica (= nom de l’auteur de cette lettre), raconte que, devant l’émoi soulevé par son accoutrement, il a décidé de s’habiller à la mode de l’époque : tout le monde l’ignore. Pourtant dès qu’il révèle ses origines, c’est là il s’attire la réplique citée : c’est donc bien son existence qui est en cause, pas son apparence.

On connaît le texte de Lévi-Strauss (Race et histoire), qui rapporte que les indigènes des sociétés « traditionnelles » n’ont d’autre nom pour se désigner eux-mêmes que celui d’homme, et qualifient les étrangers « d’œuf de pou » ou de « singe de terre » : « L’humanité - dit Lévi-Strauss - cesse aux frontières du village », là où commencent les ténèbres extérieurs…

Civilisations d’autrefois et sauvages d’aujourd’hui (quand il en reste) se donnent la main : il n’y a pas de place dans l’humanité pour plusieurs genres d’homme : pour eux la frontière qui sépare l’humain de l’inhumain traverse l’humanité, entendue comme espèce.

Mais ne partageons nous pas ces préjugés ? Nous voyons à quel point le concept d’intégration a du mal à être simplement accepté, même à titre de programme. N’y a-t-il pas dans cette notion, comme dans son refus, l’idée d’une distance infranchissable ?

- D’abord, c’est une distance non spatiale (nos « Persans », ce sont nos voisins des cités), qu’il faudrait abolir par une mutation invraisemblable (comme changer de couleur de peau par exemple).

- Et ensuite, d’une distance indivisible, qu’il faudrait franchir d’un seul coup. On ne peut s’en rapprocher petit à petit de génération en génération : les fils, dit-on, sont des « émigrés de la 2ème génération », façon de dire qu’ils sont tout aussi immigrés que leur père.

Comment peut-on être Beur ?

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