"L'œil était dans la tombe et regardait Caïn."
Victor Hugo - La légende des siècles
La premier criminel de l’histoire humaine est en même temps le plus abominable : Caïn (Genèse,4) assassine son frère Abel par jalousie parce que ce dernier était préféré du Seigneur pour ses offrandes.
Le Seigneur va-t-il réduire Caïn en cendres, le foudroyer, le faire frire dans une bassine d’huile bouillante ? Non. Rien de tout cela n’arrive : maudit par Dieu et contraint au bannissement du sol, il clame que sa punition est trop lourde et qu'il risque d'être tué par le premier venu. Dieu, pour lui signifier la gravité de son acte l'a déclaré protégé, le laissant dans sa condition de fugitif jusqu'à sa mort. Ainsi, sa vie se prolonge en une longue fuite devant Dieu, dont le regard accusateur reste fixé sur lui, rappelant l’horreur du crime qu’il a commis. Partout, où qu’il aille, le Regard de l’Eternel le fixera, cet « Œil » de Dieu sera là où il sera. Et Caïn va fuir. C’est là le ressort épique du poème de Victor Hugo, nous décrivant les mille lieux toujours plus retirés où Caïn fuit ce regard et se trouve précédé par cet oeil.
Cet œil de l’Eternel est bien sûr le symbole du remord qui taraude Caïn et c’est du fond de son délire qu’il le retrouve jusqu’au tombeau qu’il s’est fait creuser et dans le quel il s’enferme (L'œil était dans la tombe…). La pire des tortures est celle que nous nous infligeons à nous-mêmes, car nous sommes sûrs qu’elle ne s’arrêtera jamais et surtout qu’elle nous suivra. Partout où nous irons, notre bourreau ira aussi. Et si l’Eternel prend grand soin de protéger le coupable (en le marquant du « signe de Caïn »), ce n’est pas par mansuétude ; c’est pour que son supplice dure plus longtemps.
Baudelaire écrira là dessus un de ses plus beaux poèmes (1) :
Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau
(1) Heautontimoroumenos : l’homme « qui se punit lui-même ».
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