« Les culs-de-jatte mettent l'équitation au dernier rang des arts »
Alphonse ALLAIS - Oeuvres posthumes
Voilà ce que j’appelle une évidence doublée d’une malveillance : évidence, parce que les culs-de-jatte n’ont évidemment rien à faire de l’art de l’équitation (encore qu’avec les « handi-sports » on ne s’étonne plus de rien) ; mais surtout malveillant, parce qu’un jugement de valeur ne devrait avoir rien à faire avec l’intérêt personnel. Supposez qu’on dise que la Joconde est un mauvais tableau simplement parce qu’on ne peut aller au Louvre pour le contempler, mais qu’en revanche la croûte qui est au musée du coin est d’une beauté à couper le souffle !
En réalité cette idée est très courante : il s’agit du dénigrement, qui est l’œuvre des ignorants, des impuissants, de tous ceux qui n’ont pas accès à un bien qui ravit tous les autres. Je dirai qu’il ne s’agit pas de jalousie, que la jalousie est au-dessus de ce dénigrement-là, parce qu’elle suppose l’envie du bien qu’on dénigre, et donc la connaissance de ce qu’il est. Le renard de la fable dit : « ils sont trop verts et bons pour des goujats », et il ment car il sait qu’ils sont mûrs à souhait… mais inaccessibles. En revanche le cul-de-jatte n’a aucune idée de ce qu’est l’équitation, on peut donc parfaitement supposer qu’il est de bonne foi. Peut-on lui reprocher d’ignorer les plaisirs de l’équitation ? Non, bien sûr. Simplement, dans la classification générale et universellement valable des arts, il place l’équitation au dernier rang, et ce faisant, il prétend juger aussi pour nous les bipèdes.
Le dénigrement du cul-de-jatte est donc celui d’un ignorant prétentieux. C’est la définition même de la bêtise, n’est-ce pas ?
Comment ? Vous contestez ? Vous dites que je ne connais pas de cul-de-jatte ? Et que mon jugement est bien méprisant ? Attendez un peu que je vous identifie: rayé de la liste des lecteurs !
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