"Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L'ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l'immortalité"
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, LXXVI
Descartes disait que les poètes faisaient jaillir la vérité comme le feu du caillou. Quand on pense aux volumes de métaphysique de l’ennui (sous divers titres) qui ne disent rien de plus que ce quatrain, on trouve qu’il a visé juste.
Car chacun sait que la durée s’étire, interminable, lorsque l’ennui s’appesantit sur nous. L’enfant qui, las de ses jeux, mugit lugubrement « J’m’ennuie !!! », les adultes qui, pour lui échapper, s’abrutissent de séries télé ou de mots cachés, et - qui sait - la joie secrète du vacancier qui reprend son travail : tous attestent que l’ennui c’est l’inaction plus la viscosité du temps.
Dira-t-on que l’ennui va aussi très bien avec le travail, que c’est même sa caractéristique principale, que faire et refaire inlassablement une tâche insipide est même une image de l’enfer ? Bien sûr, et cela nous fait comprendre que l’ennui c’est l’absence d’invention, et que la routine ou le désintérêt ( « l’incuriosité » dit Baudelaire) pour ce qu’on fait produit la même chose que l’inaction. C’est ce qu’explique Bergson en reliant l’action, la création, avec la conscience et la durée. La contraction de la durée est la conséquence de la concentration d’esprit nécessaire à la résolution des problèmes soulevés par l’activité ; l’ennui c’est la détente de cette concentration et la dilution de la durée qui s’éparpille en fragments innombrables comme la banquise au printemps.
Pour vivre longtemps : ennuyez-vous souvent.
1 comment:
Voir à ce sujet un texte de Nietzsche dans "Humain, trop humain". désolé je ne l'ai pas sous la main mais c'est exactement cette idée.
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