- Je pense, donc je suis
Descartes – Discours de la méthode, 4ème partie (1)
- Penser ne suffit pas : il faut penser à quelque chose.
Jules RENARD – Journal (18 juillet 1899)
S’il est une manie irritante chez les philosophes, c’est bien d’employer le verbe penser de façon absolue, c'est-à-dire sans complément. Dire « Il faut penser » sans dire à qui ou à quoi, comme si penser était une action suffisamment pleine pour ne pas avoir à être complétée. Penser devient alors un doublet de « méditer ».
C’est quelque chose d’un peu terrifiant, d’un peu terroriste en même temps : le philosophe est celui qui va vous apprendre à penser, comme si vous, pauvre benêt, vous ne saviez pas penser, parce que…
Mais parce que quoi ? Le « penser » du philosophe signifie-t-il donc quelque chose si l’on n’explique pas de quelle opération précise il est issu ?
Lorsque Descartes dit « Je pense, donc je suis », il prend la peine de préciser ce qu’il entend par là (2) : on dira qu’il s’agit de tous les états de conscience, de sorte que la pensée finalement, est synonyme de conscience.
Je crois qu’en dehors de cet usage très technique et qui ne peut s’admettre qu’en raison du fait qu’en cette première moitié de XVIIème siècle l’usage du mot conscience était encore restreint à sa signification morale, penser, c’est toujours penser quelque chose, et que s’il arrive que nous pensions sans y mettre cette clarté, nous ne pensons rien du tout.
« A quoi penses-tu ? » : cette question, quand on nous la pose, nous rend instantanément idiot. Parce que, ou bien il faut avouer que nous ne pensions rien de précis, donc rien de dicible – et on va nous regarder comme un bovin ; ou bien nous allons être obligé d’habiller laborieusement notre état d’âme de mots, de phrases et alors on donnera l’impression de transfigurer mensongèrement notre pensée réelle.
(1) Citation complète : Et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais
(2) Qu'est-ce qu'une chose qui pense? C'est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. (Méditation seconde, § 8)
No comments:
Post a Comment