Parler d'un livre a peu de chose à voir avec la lecture. Deux activités qui sont tout à fait séparables, et je m'exprime pour ma part d'autant plus longuement et d'autant mieux sur les livres que j'ai pratiquement cessé d'en lire, cette abstention me donnant toute la distance nécessaire.
Pierre Bayard Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? – Editions de Minuit, p.107
On parle mieux des livres lorsqu’on ne les a pas lus. (1)
Ce paradoxe mérite d’être examiné.
Déjà, on se doute bien que les animateurs des émissions littéraires ancienne formule qui étaient seuls sur le plateau – du genre Apostrophe – et censés avoir lu les ouvrages qu’ils discutaient avec les auteurs, ne pouvaient avoir effectivement lu chacun d’entre eux dans l’espace de la semaine.
De la même façon dans les comités de lecture des éditeurs on se vante de ne lire que les premières pages des manuscrits avant de les rejeter.
L’argument, de notre auteur mérite d’être rappelé : cette abstention me donne toute la distance nécessaire pour en parler. Autrement dit le livre risque d’engloutir la lucidité critique du lecteur, de l’empêcher de le prendre pour objet de réflexion, ce qui nous apparaît clairement dans un début de lecture disparaissant dans la masse des sensations, réactions sentiments suscités par la suite.
Oui, mais alors, si on prend au sérieux cette affirmation, sur quoi allons-nous appuyer notre opinion ? Ne risquons-nous pas de grappiller au hasard tel ou tel passage, en espérant avoir eu la main assez heureuse pour avoir trouvé des clés de lecture partout où notre regard est tombé – un peu comme le fou qui cherche sa clé sous un réverbère non pas parce qu’il l’a perdue dans le coin, mais parce que c’est le seul endroit où on y voit clair ? Pire encore : ne risquons-nous pas de ne prendre pour objet de notre pensée que les commentaires des critiques qui eux – on l’espère – auront lu le livre ?
Alors je sais que certains critiques ont produit une théorie selon laquelle les premières pages d’un livre – d’un roman – contiennent en germe tout ce qui va se développer ensuite, un peu comme le musicien qui donne pour commencer le thème sur le quel il va en suite composer ses variations.
Mais je sais aussi que nombre d’auteurs ne livrent pas ainsi leur œuvre, et que parfois celle-ci rebute le lecteur paresseux qui voudrait avoir tout compris avant d’avoir tout lu.
Un exemple ? Le célèbre passage de la petite madeleine de Proust, qui apparaît vers la 50ème page du volume 1 de la Recherche, n’est interprété par l’auteur que dans le courant du dernier volume (le temps retrouvé), plusieurs milliers de pages plus loin.
C’est un peu comme les énigmes policières, sauf que là, si vous sautez directement à la fin, vous risquez de ne pas comprendre grand-chose.
(1) Et est-ce qu’on commente mieux les citations extraites d’ouvrages qu’on n’a pas lus non plus ? C’est ce que nous allons vérifier
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