L'homme est infiniment grand par rapport à l'infiniment petit et infiniment petit par rapport à l'infiniment grand ; ce qui le réduit presque à zéro.
Vladimir Jankélévitch
L’homme est un presque zéro mais ce qui compte, c’est le presque. C’est d’ailleurs ce qui lui permet d’être infiniment grand par rapport à l'infiniment petit.
L’homme est un « ε », une quantité infime – mais cette quantité, même infime, n’est pas négligeable.
Voilà je crois, dans le message de Jankélévitch, ce qui le distingue de celui de Pascal (1).
Car, si Pascal avait pour souci de montrer la petitesse de l’homme, c’était pour faire ressortir son infirmité : dans les deux infinis, ce qui compte, ce n’est pas que l’homme soit un zéro, ni un presque zéro (2). C’est qu’il soit également éloigné des principes premiers (= infiniment grand) des choses et de leurs effets derniers (= infiniment petit), de sorte que sa science ne soit qu’une illusion.
Pour Jankélévitch, être un presque zéro, ça veut dire que l’homme n’a pas une nature pour le guider, il n’est pas ce héros qui agit héroïquement sans même y penser – parce que c’est sa manière d’être (3). C’est un être qui, à tout moment, est amené à choisir dans l’incertitude entre le petit et le grand, le bien et le mal.
Toute la morale selon Jankélévitch est marquée par cette indétermination. La morale, c’est le choix dans l’incertitude. C’est le dilemme qui est sa marque la plus nette, et les stances de Rodrigue (Le Cid, acte I, scène 6) sont là pour l’attester.
Voilà donc ce que nous apprend cette citation :
- infiniment grands, nous avons à nous comporter comme des êtres humains, c'est-à-dire à nous déterminer selon des valeurs morales;
- infiniment petits, nous n’avons pas accès à un monde de valeurs transcendantes qui s’imposeraient à nous – même Dieu est caché (Pascal).
Inutile donc de demander ce qu’est le bien et ce qu’est le mal : c’est à nous de l’élire. Simplement nous avons à faire en sorte que notre choix soit aussi valable pour d’autres que nous – même si ce ne peut-être jamais que notre choix.
Bref : Jankélévitch et Sartre ont eu le même maître : Bergson.
(1) Lire le fragment des Pensées consacré aux Deux infinis
(2) D’ailleurs, l’infini n’est ici que la succession indéfinie des causes et des effets.
(3) Comme le Siegfried de Wagner qui est un héros avant même de savoir qu’il l’est, en tout cas bien avant d’avoir occis le dragon Fafner.
No comments:
Post a Comment