Thursday, October 15, 2009

Citation du 16 octobre 2009

[Pour éviter d’être blâmé et condamné quand on est absent, il faut suivre] le conseil de celui qui se retirait toujours le dernier d’une compagnie.

Hobbes – Du Citoyen, p. 91

Avez-vous tenté d’imaginer ce que disaient de vous vos amis, lorsque vous les quittiez avant que la réunion ne soit terminée ? Car, soyez-en certain, c’est de l’absent qu’on parle le plus volontiers.

- Oui, c’est vrai j’aime beaucoup Polo (c’est vous), mais il exagère quand même un peu…

- Exact. D’ailleurs je me suis mordu la langue pour ne pas lui répliquer quand…

- Dites-moi, mes amis, est-ce que vous vous rappelez seulement à quand remonte la dernière participation de Polo à nos travaux ?

Etc… Cette médisance même si elle n’est pas attestée ouvertement, le sera en filigrane et les exceptions ne seront là que pour confirmer la règle.

Un seul moyen de l’éviter : partez le dernier – c’est le conseil du sage qui sait qu’il ne peut réformer la nature humaine, mais seulement la connaître pour s’y adapter.

Alors, c’est vrai, il y a tout de même un cas qui déroge à cette règle : c’est l’enterrement d’un ami – ou de n’importe qui de connu.

Là, la règle est l’éloge, l’unanimité se fait sur la déploration de la perte irréparable d’un homme de qualité, dont chacun se met à peindre les charmes et les vertus. D’un seul coup, même celui qu’on désignait avant comme un « sacré enfoiré » devient maintenant un irremplaçable fleuron de l’humanité.

La mort est donc une forme d’absence qui amène d’un seul coup à faire l’éloge celui qu’on éreintait juste avant : comment s’explique ce renversement ?

On pourrait évoquer les traditions religieuses qui font de l’éloge funèbre une obligation (comme chez les juifs), ou du moins une façon de pleurer le défunt, nos larmes étant proportionnées à sa qualité. Puisqu’il est bon de pleurer bruyamment le cher disparu, mieux vaut qu’il ne soit pas un salaud.

On pourrait aussi faire de la psychanalyse facile et prétendre qu’un sentiment de culpabilité accompagne le deuil. Car, ce mort qu’on massacrait allègrement de nos critiques quand il était vivant, ne sommes nous pas au fond de nous-mêmes heureux de le voir disparaître ? N’avons-nous pas souhaité en être débarrassé ? Ces vilains sentiments qui ne peuvent se faire jour sans blesser ceux qui les ressentent doivent être refoulés, et l’éloge du défunt ne serait alors qu’une surcompensation (1) de notre cruauté.

Bref : croyez ce que vous voulez, mais en tout cas, si vous voulez être loué de tous, un seul conseil : mourez.


(1) Surcompensation – Voyez Adler chez qui la surcompensation est une réaction exagérée qui trahit une blessure cachée, comme par exemple, une extrême susceptibilité qui serait est révélatrice d'un sentiment d'infériorité, en ce qu'elle surgit chaque fois que la personne a le vague sentiment qu'on a mis le doigt sur le défaut de sa cuirasse. (Lire ici)

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