Tous les jours de la semaine / Sont vides et sonnent le creux / Bien pire que la semaine / Y a le dimanche prétentieux / Qui veut paraître rose / Et jouer les généreux / Le dimanche qui s'impose / Comme un jour bienheureux
Je hais les dimanches! / Je hais les dimanches!
Paroles de Charles Aznavour, Chanson créée par Edith Piaf, – et par Juliette Gréco (en vidéo ici)
Retournez le problème dans tous les sens : le travail du dimanche, ça ne passe pas. Le dimanche se définit comme un jour chômé, c’est notre shabbat à nous. Il faut que, même si nous avons oublié notre religion, le dimanche soit un jour sans travail, quelqu’en soient les conséquences, et même si le dimanche est alors un jour ennuyeux.
De Stendhal, à Paul Morand en passant par Nietzsche (1), le dimanche apparaît comme lié à cet interdit du travail même si certains le considèrent comme une source de l’ennui pour les hommes. Que faire quand on ne travaille pas ? Le travail n’est-il pas le plus puissant dérivatif à l’ennui, le divertissement pascalien le plus fort ?
Toutefois la chanson que nous citons ici est un peu plus retorse : là où nous avons aujourd’hui une problématique du travail et du repos, nous trouvons ici une problématique du bonheur institué opposé à l’ivresse du bonheur des amoureux. C’est même ça qui fait tout l’intérêt de la chanson que Juliette Gréco jette à la face des bourgeois. (2)
Si le dimanche est ennuyeux ce n’est pas simplement parce qu’il est vide de préoccupation ; c’est aussi parce que les contraintes sociales – comme la messe, la pâtisserie qui clôt l’inévitable repas de famille, la promenade digestive sur les remparts, etc… – y sont particulièrement puissantes.
Contre cet ennui, un seul remède : l’amour, qui d’un seul coup repeint la ville aux couleurs du printemps.
Le dimanche, Juliette déplore l’absence de son amoureux qui travaille – oui finalement le mot est lâché : Tu travailles toute la semaine et le dimanche aussi / C'est peut-être pour ça que je suis de parti pris.
Bilan : il faut lutter contre le travail du dimanche, ou alors le réserver à ceux qui n’ont pas d’amoureux avec qui effeuiller la marguerite.
(1) Voir les citations en annexe
(2) Alors que Gréco incarne la révolte, Piaf la chante en se plaçant sous le signe du tragique – ce qui ne fonctionne pas tout au long du texte, imposant d’étranges ruptures de ton et de rythme. Ecouter ici
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Annexe
L'oisiveté pèse aux races laborieuses. Ce fut un coup de maître de l'instinct anglais de faire du dimanche une journée si sainte et si ennuyeuse, que l'Anglais en vient, à son insu, à désirer le retour des jours de semaine et de travail.
Friedrich Nietzsche – Par-delà le bien et le mal
Je ne puis pas encore m'expliquer aujourd'hui, à cinquante-deux ans, la disposition au malheur que me donne le dimanche. Cela est au point que je suis gai et content ; au bout de deux cents pas dans la rue, je m'aperçois que les boutiques sont fermées : "Ah ! c'est dimanche", me dis-je.
À l'instant toute disposition intérieure au bonheur s'envole.
Est-ce envie pour l'air content des ouvriers ou des bourgeois endimanchés ?
J'ai beau me dire : "Mais je perds ainsi cinquante-deux dimanches par an et peut-être dix fêtes." La chose est plus forte que moi. Je n'ai de ressource qu'un travail obstiné.
Stendhal – Vie de Henry Brulard
Le dimanche, on échange les ennuis de la semaine contre l'Ennui.
Paul Morand – Journal inutile 1968-1972 (24 juin 1969)
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