Monday, October 26, 2009

Citation du 27 octobre 2009

L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire un petit cap du continent asiatique ?

Paul Valéry – La crise de l’esprit (Deuxième lettre) – 1919 (1)

Deux lettres forment ce texte : dans la première (évoquée hier), Valéry s’interroge sur le paradoxe tragique de la civilisation qui a engendré la boucherie de la Grande guerre (qui vient de s’achever au moment où il écrit) ; la seconde s’interroge sur le déclin de l’Europe en tant que puissance mondiale.

Deuxième lettre

Dans cette lettre, Valéry aborde un thème fort classique à son époque : le déclin de l’Europe.

L’idée qu’il va développer est pourtant un peu plus originale que celles qui étaient ressassées depuis la seconde moitié de XIXème siècle (où on la retrouve généralement associée à des commentaires sur la chute de l’Empire romain). Car ce qu’il évoque, c’est le phénomène de mondialisation tel que nous le connaissons nous, aujourd’hui, presque un siècle après que ces lignes aient été tracées.

Voici ce que dit Paul Valéry :

- L’histoire des civilisations repose d’abord sur un principe fort simple : celui de l’inégalité entre les zones habitées. C’est ce principe qui est le moteur de l’histoire.

Mais cette inégalité ne résulte pas de l’importance géographique de chaque pays : l’Angleterre occupe la première place (1919) alors que le sous continent Indien lui est soumis. Il tient donc d’avantage à l’avance des sciences et des techniques

- Mais il ajoute aussitôt un théorème fondamental : cette inégalité doit au bout d’un certain temps non pas disparaître, mais s’inverser. Car, écrit Valéry, Nous avons étourdiment rendu les forces proportionnelles aux masses !

Et en effet, la diffusion des savoirs et des techniques (on dirait aujourd’hui le transfert des technologies) va faire que les inégalités vont progressivement s’aligner sur l’importance géographique – et démographique – des pays : à ce jeu, le Royaume-Uni sera un jour subjugué par l’Inde.

Et l’Europe dominée par la Chine…

- Reste comme le souligne la fin de notre citation (voir sous la note 1) à espérer en une nouvelle invention – une création – qui viendrait donner à l’Europe de quoi surnager ; et cette création serait issue de l’Esprit Européen. C’est quelque chose qui ne serait pas « diffusible » vers d’autres continents. Quelque chose que les Chinois ne pourraient pas nous prendre…

Voilà : je crois comprendre que le message posthume de Paul Valéry est qu’il faut espérer plus dans les artistes et les philosophes que dans les physiciens et les informaticiens pour sauver l’Europe de la soumission aux hordes asiatiques.


(1) Voici le passage du texte d’où est extraite cette citation : « L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire un petit cap du continent asiatique ?

Ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire : la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps ?

Le phénomène de la mise en exploitation du globe, le phénomène de l’égalisation des techniques et le phénomène démocratique, qui font prévoir une deminutio capitis (perte de capacité) de l’Europe, doivent-ils être pris comme décisions absolues du destin ? Ou avons-nous quelque liberté contre cette menaçante conjuration des choses ? »

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