Annulation : Bouffée de langage au cours de laquelle
le sujet en vient à annuler l'objet aimé sous le volume de l'amour lui-même:
par une perversion proprement amoureuse, c'est l'amour que le sujet aime, non
l'objet.
Roland Barthes –
Fragments d'un discours amoureux (1977)
Perversion suite :
Alors qu’hier nous étions pleins d’assurance et prêts à
découper l’humanité amoureuse en deux parties, les pervers narcissiques et les autres, voici
que notre belle certitude, grâce en soit rendue à Roland Barthes, se met à
vaciller.
Et en effet, la perversion nous était apparue comme
fondamentalement narcissique : le pervers ne peut aimer que soi-même, et
c’est pour cela que son désir ignore absolument l’existence d’autrui. En terme
freudien, le pervers est celui qui serait resté au stade narcissique et dont la
libido, quittant le rapport à l’objet, se serait retournée vers le moi (1).
Oui, mais voilà – Barthes introduit un troisième
facteur : l’amour. Oublions donc qu’on aime généralement quelqu’un,
oublions aussi que parfois on n’aime que soi-même : ce qu’on aime en
réalité, c’est l’Amour ! Tant et si bien que se trouve annulé l'objet aimé sous le volume de l'amour lui-même.
Ce qui est bien une perversion, puisque l’autre, le « sujet aimé »,
n’est plus considéré comme un sujet justement, mais comme un moyen de donner
carrière à l’Amour. L’Amour, comme le lion du cirque romain, dévore les jeunes
et belles vierges qu’on lui apporte tout exprès.
Oui, mais « aimer l’amour », c’est éprouver un
sentiment… pour un sentiment : comment comprendre ce mystère ?
Comment faire pour que cette redondance ne soit pas une absurdité ?
Aimer l’Amour, cela veut-il dire quelque chose ? Suffit-il d’écrire le mot
« Amour » avec un A majuscule pour que ça prenne du sens ? (2)
--> Pour que ça marche, il faut que l’Amour soit autre
chose que le sentiment d’aimer, qu’il soit comme une idéalité qui serait
toujours au-delà de ses manifestations, dans une transcendance que le fait
d’aimer me donne à percevoir. C’est la force, la puissance de l’amour éprouvé
qui me transporte au-delà de l’être aimé, qui est bien trop petit pour
l’endosser. Aimer l’Amour c’est être en extase
(3) et c’est même la raison pour laquelle la foi religieuse et l’érotisme aboutissent
parfois au même.
Reni Guido (1573-1642), (dit le Guide)
Marie-Madeleine en extase au pied de la croix
Bref : l’Amour, c’est comme la foi. La foi donne
l’expérience de quelque chose qui ne se montre jamais tel quel, mais elle est le
sentiment que j’en éprouve et qui atteste de son existence.
Après, qu’importe que ce sentiment ait besoin pour se
manifester de Juliette ou de Romeo ?
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(1) A moins qu’elle lui soit restée attachée.
(2) Procédé que Barthes n’utilise d’ailleurs pas.
(3) Ou plutôt en « ek-stase » comme le dit Heidegger
(pour qui c'est la situation d'un être placé « en dehors » de lui-même).
1 comment:
quel bel éloge de l'amour de l'amour c'est pile et poil si juste un jour j'annonçais à un homme que j'aimais que nous allions être parents il me rétorqua qu'il était amoureux de l'amour que je lui portais et que cela se limitait là . vous voyez donc l'écho . merci aussi de votre participation au conte.Votre analyse lui donne encore plus de force. merci cher philosophe jean pierre à bientot
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