Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l'autre
Roland Barthes –
Fragments d'un discours amoureux
Le langage est
une peau… Barthes file la métaphore très loin (on en jugera en lisant l’extrait
donné en annexe), mais je m’en tiendrai à cette érotisation du langage qui est
le propre du discours amoureux. Car contrairement à ce qu’une courte vue
nous ferait croire, la parole n’est pas simplement un élément de séduction. Le
baratin, le bluff, les boniments, etc. recherchent peut-être à séduire, mais
dans le « discours amoureux », le langage fait surtout jouir : s’il
peut entretenir l’amour, c’est aussi parce qu’il peut le satisfaire.
Comment comprendre autrement les correspondances amoureuses qui durent
si longtemps – parfois plus longtemps sans doute que l’aventure n’aurait duré
au contact direct de la femme aimée. Combien de temps Diderot a-t-il écrit des
lettres d’amour à Sophie ? Et Apollinaire à Lou ? En parlant – ou en
écrivant – je fais jouir l’autre, et je me fais jouir, car Barthes n’hésite pas
à l’affirmer : le langage
jouit de se toucher lui-même.
Le discours amoureux serait-il un discours pervers ?
Sans doute, mais est-ce que cela veut encore dire quelque chose ? Certes, ce
n’est pas avec des mots qu’on fait des enfants. Mais si on aborde la question
de la jouissance, alors dites-moi : y a-t-il une différence entre le
fantasme qui alimente notre désir et soutien notre jouissance durant l’acte
d’amour, et les paroles de désir par les quels j’enroule l’autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle,
j’entretiens ce frôlage… (cf. infra). Oui, certes, il y a une
différence : alors que le fantasme fait jouir seulement celui qui le
produit, le discours amoureux fait jouir
celui à qui il s’adresse.
En tout cas, alors qu’on imagine que ce sont les communications de
l’époque du Net qui ont développé les amitiés et les amours virtuels, on
s’aperçoit que dès le début, c’est le discours amoureux qui a fait sauter la
frontière entre le virtuel et le réel.
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« Le langage est une peau: je frotte mon langage
contre l’autre. C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des
doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir. L’émoi vient d’un
double contact: d’une part, toute une activité de discours vient relever
discrètement, indirectement, un signifié unique, qui est « je te désire », et
le libère, l’alimente, le ramifie, le fait exploser (le langage jouit de se
toucher lui-même); d’autre part, j’enroule l’autre dans mes mots, je le
caresse, je le frôle, j’entretiens ce frôlage, je me dépense à faire durer le
commentaire duquel je soumets la relation. »
Roland Barthes - Fragments d’un discours amoureux (1977)
1 comment:
bravo ce billet avec mon cher amour d'ailleurs RolandBarthes.
l'amour se meurt fautes de mots.
super super super anlayse et c'est tellement tellement juste. merci çà fait du bien de lire çà. Ca fille la péche.
par ce temps gris c'est bon;
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