Les filles de Lesbos dorment entrelacées, / Comme deux jeunes fleurs sur un même
rameau ; / Elles dorment ! Leur sein éblouissant et beau, / Se gonfle
au souvenir de leurs folles pensées. / D’un mutuel amour leurs lèvres caressées
/ Semblent prêtes encor pour un baiser nouveau…
Henri Cantel – Les
tribades (1859)
Courbet – Le sommeil
(1866)
Nous allons voir dans une exposition particulière (…) les
deux tribades de Courbet (...). Ici, dans les tribades, deux corps terreux,
sales, breneux, noués dans le mouvement le plus disgracieux et le plus
calomniateur de la volupté de la femme au lit…
Edmond et Jules
Goncourt – Journal 31 décembre 1867
Je n’ai jamais compris la critique haineuse des Goncourt
à l’égard de ce tableau, à moins que cette haine n’ait visé Courbet lui-même, puisque
ses idées politiques étaient sans doute bien connues – bien avant son
implication dans la Commune de Paris (1).
Toutefois, j’imagine que cette critique est représentative
de toutes celles qui ont accueillies le Déjeuner
sur l’Herbe de Manet (1862), imprudemment destiné à l’exposition publique
alors que le Sommeil n’était visible
que dans l’exposition privée qu’en faisait son commanditaire (2).
Reprenons : là où les critiques positives louent la
carnation des peaux de ces deux femmes, les Goncourt voient une chair sale,
terreuse, breneuse (= merdeuse). Là où Henri Cantel (notre citation) voit une
posture qui met en valeur des corps magnifiques, ces mêmes Goncourt voient une « calomnie »
de la volupté féminine.
Alors, là, permettez qu’on ironise un peu. Sans doute
est-il plus flatteur pour une femme de jouir sous un homme qui l’a saoulée pour
pouvoir la posséder de toutes les façons possibles ? Parce que, en matière
de débauche, les Goncourt ne faisaient pas de la dentelle : c’est ce
qu’ils racontent eux-mêmes dans leur Journal.
Il reste quand même quelque chose : c’est que ce
tableau produit un véritable choc quand on le voit pour première fois : le
contraste entre l’innocence du sommeil et l’attitude des corps – érotique
sans aucune équivoque ; plus la taille du tableau (135x200, c’est-à-dire
que les corps sont en taille réelle) : ça tape sur la libido.
Après tout, c’est peut-être ça qui énervait Goncourt.
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(1) Rappelons qu’en mai 1871, réveillé en pleine nuit par
le bruit du canon des versaillais, Edmond de Goncourt s’écrie :
« Dieu merci ! La guerre civile commence ! »
(2) Le collectionneur pour qui Courbet a peint ce tableau
est Khalil-Bey, diplomate turc en résidence à Paris, pour qui il avait déjà
peint l’Origine du monde et Ingres peint
le bain Turc (terminé en1859 : les
Goncourt en parlent également dans ce paragraphe).
1 comment:
je ne connaissais pas ce tableau de Courbet
grâce à vous on voit la subjectivité de la critique
et nous apprenons des détails sur le vie et les meurses de ces goncourt
bonne journée
captaine philosophe
je vous embrasse
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