Tu vois ce vide au-dessus de nos têtes ? C'est Dieu [...] Le silence, c'est Dieu. L'absence c'est Dieu. Dieu, c'est la solitude des hommes
Jean-Paul Sartre –
Le diable et le bon Dieu, acte II
Avec ce texte (du moins avec l’extrait cité en Annexe) on
a l’occasion de déceler ce qui sépare Sartre de Camus, ou, si l’on veut
l’existentialisme de la philosophie de l’absurde.
Camus dit : Dieu n’existe pas, mais le besoin de
Dieu existe. L’homme est cet être qui appelle Dieu, tourné vers un ciel qu’il
sait être vide. Sans Dieu pour les fonder, plus de valeurs – tout est absurde.
Sartre répond : Dieu existe peut-être mais, comme le
Dieu d’Epicure, il est si loin de nous et il se préoccupe si peu des hommes que
nous devons faire comme si il n’existait pas. Et tant mieux ! Car plus
Dieu exerce sa puissance dans le monde, et moins nous n’avons de chance d’y
faire quelque chose : ça ne réussirait que « Si Dieu le
veut ! »
« Si Dieu
existe, l'homme est néant, si l'homme existe.. » Voilà l’optimisme
sartrien. Avec sa conséquence immédiate : si l’homme décide du Bien et du
Mal seul et sans modèle, alors il est sans excuses, sans échappatoires – il
ne peut dire, comme les bourreaux nazis : « Je n’ai fait qu’exécuter
des ordres ! » C’est même ce sens de la responsabilité qui constitue
le véritable garant de la morale. C’est moi qui décide, mais quand je décide
des valeurs, celles-ci existent quand même parce que je dois les assumer pour les autres.
A-t-on une chance de savoir objectivement ce qui est mauvais ? La liberté peut-elle fonder
les valeurs ?
--> Après tout, si je piétine les autres, je peux
dire : « Oh ! mais c’est ça qui est le bien pour moi ! Et tant pis pour vous si vous ne partagez
pas mon choix. » En usant des autres comme d’ustensiles pour mes projets,
je leur refuse de faire usage de leur liberté.
C’est cela le mal selon Sartre et ceux qui agissent ainsi
sont ceux qu’il nomme les salauds.
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Annexe – Texte de Sartre : « Je me demandais à
chaque minute ce que je pouvais être aux yeux de Dieu. A présent je connais la
réponse: rien. Dieu ne me voit pas, Dieu ne m'entend pas, Dieu ne me connaît
pas. Tu vois ce vide au-dessus de nos têtes ? C'est Dieu. Tu vois cette brèche
dans la porte ? C'est Dieu. Tu vois ce trou dans la terre ? C'est Dieu encore.
Le silence c'est Dieu. L'absence c'est Dieu. Dieu c'est la solitude des hommes.
Il n'y avait que moi: J'ai décidé seul du Mal; seul, j'ai inventé le Bien.
C'est moi qui ai triché, moi qui ai fait des miracles, c'est moi qui m'accuse
aujourd'hui, moi seul peut m'absoudre; moi, l'homme. Si Dieu existe, l'homme
est néant, si l'homme existe... » Jean-Paul Sartre, Le diable et le bon
Dieu, acte II.
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