Sunday, September 08, 2013

Citation du 9 septembre 2013


Quand tu aimes il faut partir / Ne larmoie pas en souriant / Ne te niche pas entre deux seins / Respire marche pars va-t'en
Blaise Cendrars – Tu es plus belle que le ciel et la mer – Extrait de Feuilles de route
Faut-il commenter les poésies ? Dissiper le mystère, évacuer les ambiguïtés, écrabouiller les échos du poème dans notre inconscient ?
Certes, dit comme ça, on a la réponse tout de suite – et c’est non !
Sauf qu’il faudrait un peu expliquer : si le commentaire est insupportable, c’est parce qu’il est constitué d’une subjectivité masquée sous l’apparence de la scientificité – et donc c’est une subjectivité qui impose silence à toutes les autres.
En réalité, on ne peut éviter d’interpréter un poème dans la mesure où notre sensibilité le fait sonner comme-ci ou comme-ça ; même quand on se borne, comme je le fais ici, à en citer une strophe : je fais un choix qui marque ma préférence pour une idée plus que pour toutes les autres. Seulement, je le fais en laissant s’épanouir les autres résonnances. Voilà.
Dans cette strophe, Cendrars nous dit : délaissez les femmes, partez à l’aventure, il y a tant de choses à faire dans le monde tant de lieux à découvrir, tant d’espace à parcourir. Alors que l’appel de l’aventure nous jette sur les grands chemins, l’attrait sensuel pour les femmes ne nous offre que l’espace confiné de l’entre-deux-seins. (1)


On le voit, ici il s’agit pour Cendrars de faire de l’entre-deux-seins le lieu d’une régression qui détruit la virilité (incarnée dans ce poème par le voyage et l’aventure). On pense à Hercule, filant la quenouille aux pieds d’Omphale dont il est éperdument amoureux. On pense aussi à Freud imaginant que le développement de l’humanité est lié au triomphe de la prise de danger sur l’attachement à la mère. L’homme ne devient véritablement homme qu’à la condition de rompre à cet attachement – et donc renonce à ce qui le symbolise.
Bon : ça y est ; j’ai tordu le cou à toutes les autres interprétations du poème – je fais donc ce que je reproche aux autres de faire ?
Non pas : car il a bien d’autres horizons qui restent ouverts. Il faut lire ce poème pour découvrir qu’il est en fait une déclaration d’amour. Si vous aimez la femme, quittez-la – Quand tu aimes, il faut partir
--> Et la femme que dit-elle ? Cendrars nous le laisse deviner : « Si tu  veux que je t’aime, quitte-moi. »
En tout cas, c’est ce que le voyageur Cendrars a fait toute sa vie.
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(1) « Entre-deux-seins » : oui, écrit comme ça avec des traits d’union, on en fait une réalité tellement objective qu’il a fallu forger ce mot composé pour la signifier.
J’avais déjà doucement déliré sur ce propos dans un Post de 2008.

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