La révolution contre les castes ou les classes, stupide ! Les révolutions devraient se faire contre certains vices : par exemple, à mes yeux, une révolution contre l'avarice serait légitime. L'avarice implique toujours l'inhumanité. C'est la passion anti-sociale par essence.
Edmond et Jules de
Goncourt – Journal (28 juillet 1862)
Commentaire II
« L'avarice
implique toujours l'inhumanité. C'est la passion anti-sociale par essence.»
Si on vous avait demandé : Quelle est selon vous la
passion anti-sociale par essence ? auriez-vous répondu :
l’avarice ?
Peut-être auriez-vous plutôt dit : la paranoïa
(passion du Moi) et sa variante l’érotomanie ; ou bien la volonté de
puissance (entendue comme passion de tout gouverner) ; ou bien la débauche
sans frein (la folie de Caligula).
Néanmoins, admettons-le pour le moment : l’humanité
est un ensemble de valeurs et l’avarice incarne l’inhumanité parce qu’elle est
la négation de ces valeurs.
L’avare est l’homme qui, comme le thésauriseur de Marx
(voir Annexe), aime son argent à ce point qu’il l’enferme comme une trop belle
femme : il craint par-dessus tout de ne plus le voir revenir s’il
l’investit quelque part. Il préfère donc ne pas faire fructifier son bien
plutôt que de prendre le risque de le perdre.
Mais cette distinction est encore inessentielle. Car ce
qui compte, c’est la nature de la valeur reconnue. Pour l’avare, il n’y a qu’une valeur capable de le
mobiliser : c’est l’argent. Quand on dit que l’avare idolâtre l’argent, ça
signifie qu’il en fait une valeur transcendante ; et aucune autre
transcendance – pas même celle de Dieu, et en tout cas pas celle de l’humanité
– ne saurait l’emporter sur celle de l’argent.
Toutes les passions sont habituées à cette prouesse qui
consiste à idolâtrer leur objet. L’avarice, qui n’est autre que la passion de
l’argent, fait de même et elle profite en plus de son abstraction : même
quand il s’incarne dans l’or, les diamants, les perles ou les rubis, l’argent
est toujours au-delà de cette réalité matérielle. Il est ce qui nous aimante et nous attire à lui sans que
jamais on ne puisse l’atteindre.
C’est l’argent le véritable rival de Dieu, et la colère
de Celui-ci dans l’épisode du veau d’or (Exode, 32) s’explique sans doute
ainsi. (1)
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(1) J’y reviendrai incessamment.
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Annexe – Distinction du capitaliste
et du thésauriseur :
« Cette tendance absolue à l’enrichissement, cette
chasse passionnée à la valeur d’échange lui (= le capitaliste) sont communes
avec le thésauriseur. Mais, tandis que celui-ci n’est qu’un capitaliste
maniaque, le capitaliste est un thésauriseur rationnel. La vie éternelle de la
valeur que le thésauriseur croit s’assurer en sauvant l’argent des dangers de
la circulation, plus habile, le capitaliste la gagne en lançant toujours de
nouveau l’argent dans la circulation. » Marx – le Capital, livre 1,
section 2 – Chapitre 4
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